jeudi 3 octobre 2013

Rouhani dans les mains de l'Occident

(dans son format original, article paru le 2 octobre dans "le Figaro")

Avec le passage du nouveau Président iranien à l’ONU, l’on vient de vivre à New-York une sorte de « folle semaine ». Le dégel amorcé avec la rencontre d’Hassan Rouhani et de François Hollande s’est accéléré au fil des discours et des rencontres, pour aboutir à une conversation téléphonique qualifiée d’historique entre Obama et Rouhani. Mais l’euphorie retombée, force est de constater que l’on n’a guère quitté le royaume des déclarations de bonnes intentions. Reste à entrer dans le vif des sujets, et donc du sujet nucléaire.

Et là, Rouhani a besoin d’un succès rapide. Il a été en effet élu sur la promesse de desserrer le garrot des sanctions mises en place dans ce contexte, qui étrangle la population iranienne. Mais Américains et Européens tiennent son sort entre leurs mains. Ou la négociation marque au plus vite des avancées visibles, les sanctions s’atténuent, l’économie repart. La popularité de Rouhani alors se consolide, et sa main se renforce en interne pour tenter d’apaiser les autres querelles de l’Iran avec le monde extérieur. Ou la négociation traîne en longueur, l’économie iranienne s’enfonce dans le marasme, la déception s’installe. Les factions conservatrices battues à l’élection présidentielle, mais toujours puissantes au parlement et dans l’appareil du régime, reprennent courage et entrent en guérilla contre le gouvernement. Rouhani affaibli, l’Iran repart sur une trajectoire de confrontation avec ses adversaires familiers : Occident, Israël, royaumes arabes...

Pour permettre à Rouhani de démontrer qu’il a fait le bon choix en pariant  sur l’ouverture, celui-ci a besoin d’une seule chose : que l’on reconnaisse à l’Iran le droit de continuer à utiliser la technologie de l’enrichissement de l’uranium, en échange de quoi Téhéran est prêt à donner toutes les garanties nécessaires pour rassurer le monde extérieur : contrôles internationaux renforcés, enrichissement plafonné à 5%. Ce taux, suffisant pour les usages industriels, reste loin des 90% nécessaires à une arme nucléaire.

Mais nous n’en sommes pas là. Comme Obama lui-même vient de le rappeler à la tribune des Nations Unies, Américains et Européens maintiennent leur exigence de voir Téhéran se plier aux injonctions du Conseil de sécurité, donc de suspendre ses activités d’enrichissement. Cette demande, on le sait depuis son adoption en 2006, est inacceptable pour l’Iran. Rouhani lui-même l’a dit peu après son élection. C’est lui, quand il était négociateur du dossier nucléaire, qui avait accepté de 2003 à 2005 une première suspension, sans rien obtenir en échange. Ses adversaires politiques le lui ont beaucoup reproché à l’époque, et jusqu' aujourd’hui. Une telle décision serait pour lui suicidaire.


En faisant avaliser par le Conseil une demande d’un intérêt limité, sauf à vouloir pousser l’Iran à un abandon définitif de l’enrichissement, nous nous sommes donc piégés nous-mêmes. Dans sa résolution, le Conseil de sécurité exprimait sa conviction qu’une telle suspension contribuerait à une solution diplomatique négociée. Cette exigence, en plombant la négociation, a produit tout le contraire. Le moment est venu de le constater. Et de façon plus générale, demander à Rouhani, comme on l’entend souvent, de faire « les premiers pas » sans dévoiler ce qu’il peut en attendre n’a guère de sens. Aucun responsable politique au monde ne se lancera dans des concessions significatives sans pouvoir annoncer le bénéfice qui en sera tiré. Espérons que ces éléments de bon sens seront pris en compte dans la négociation qui s’engage. Pour qu’il y ait progrès, les « premiers pas » doivent être faits de part et d’autre, et être simultanés.