samedi 8 mars 2008

Byzance, le capitalisme financier et les téléphones portables

A Byzance, la classe dirigeante appuyait son pouvoir et son prestige sur la possession de grandes propriétés foncières. Pour les acquérir, elle chassait de leurs terres et expulsait vers les villes les petits exploitants qui formaient l'élément le plus solide de son armée, la base de sa défense, et même la base de sa société. L'on s'en rendait compte déjà à l'époque, l'on se lamentait devant l'affaiblissement de l'Empire qui en découlait. Mais rien ne semblait pouvoir arrêter cette évolution, et de fait rien ne l'a arrêté.

La façon dont le nouveau capitalisme financier a détruit le tissu économique et social qui a fait la force de l'Europe, et notamment une classe ouvrière profondément attachée à ses entreprises, rappelle très fortement la façon dont les paysans de Byzance ont été arrachés à leurs terres. Là aussi, chacun constate le résultat produit, se lamente de la fragilisation de nos nations et de nos sociétés , mais sans que personne ait pu mettre fin au phénomène. Les forces à l'oeuvre paraissent dépasser infiniment la capacité d'action de quiconque.

Avant cette désagrégation de la classe ouvrière, il y avait déjà eu la désagrégation du monde paysan dans l'ouest de l'Europe depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. Car c'était cela aussi, les "Trente glorieuses".

Assez curieusement, le bloc soviétique avait protégé de ces évolutions, par une sorte de glaciation, les pays qu'il recouvrait. Dans les années 1990 encore, la campagne polonaise ou la campagne roumaine était à peu près aussi peuplée qu'au Moyen-Âge, et présentait des tableaux dignes des Riches Heures du Duc de Berry. Je me souviens d'avoir demandé en Hongrie à un couple de paysans qui m'avaient fait entrer avec ma femme dans leur maison combien d'hectares ils cultivaient. "Deux...". "Mais c'est très peu!" disais-je. "Pas du tout" répondaient-ils, "cela nous donne déjà beaucoup de travail". Et de fait, leur intérieur, la table à laquelle ils nous avaient invités, respiraient une toute petite mais honnête aisance. Un immense dégel a dû déjà commencé à emporter tout ceci.

Dans notre monde déstructuré, chacun se présente de plus en plus comme un entrepreneur individuel, employeur de sa force de travail, s'efforçant de survivre en gérant au mieux son employabilité. Et la principale force de cohésion de l'ensemble, c'est l'échange. Il suffit pour s'en rendre compte de regarder les réclames à la télé, où la marchandise qui vampirise ceux qui l'acquièrent paraît bien plus vivante que les acteurs-marionnettes qui s'y agitent pour pousser à la consommer.

L'échange devient donc le porteur du réel, et les personnes tendent à n'être plus que des terminaux ou des relais du monde de la communication. Dans ce monde nouveau, celui qui n'est plus irrigué en permanence par ce flux s'étiole et et disparaît, frappé par une sorte de mort civile. C'est ce qu'on verrait très vite si l'on pouvait faire tomber en panne d'un seul coup les téléviseurs, les ordinateurs branchés sur internet et tous les téléphones portables.

1 commentaire:

jpbb a dit…

Evidement, si on scie la branche sur laquelle on est assis, on tombe...