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mardi 9 février 2021

REVENIR AU PLUS VITE DANS L'ACCORD SUR LE NUCLEAIRE IRANIEN

S’exprimant tout récemment sur l’actualité internationale devant l’Atlantic Council, Emmanuel Macron, abordant la crise nucléaire iranienne, s’est réjoui de la volonté de dialogue manifestée par la nouvelle administration américaine, en se déclarant « présent et disponible… pour tâcher d’être un médiateur dévoué et sans parti pris dans ce dialogue ». Cette offre éminemment positive a été aussitôt suivie par l’énoncé de ses vues sur le sujet : urgence de mener à bien de nouvelles négociations avec l’Iran, le pays étant « bien plus proche de la bombe nucléaire qu’il ne l’était avant la signature de l’accord » de juillet 2015 ; nécessité d’aborder « les questions des missiles balistiques et de la stabilité de la région" ; intérêt à trouver « un moyen de faire participer l’Arabie saoudite et Israël à ces discussions ». Ce sont en effet de vraies questions. Malheureusement, les afficher d’emblée risque de saper la crédibilité de la médiation envisagée. La tâche d’un médiateur est d’abord d’écouter et de sonder les uns et les autres, puis d’élaborer de façon aussi neutre que possible, par approches successives, une solution acceptable par tous. Le tout dans une totale discrétion. L’objectif semble désormais difficile à atteindre.

          L’Iran plus proche de la bombe ?


Que penser en outre des prises de position de notre Président ? L’Iran est-il bien plus proche de la bombe qu’à la veille de l’accord de Vienne ? Pas exactement. À la veille de cet accord, l’Iran disposait d’un stock d’uranium faiblement enrichi de plus du double de ce qu’il est aujourd’hui. Il disposait également d’un stock d’uranium enrichi à 20% plus de cinq fois supérieur à son stock actuel. Encore ce stock initial d’uranium à 20%, le plus inquiétant, avait-il été déjà divisé par deux en signe de bonne volonté peu après le début des négociations entamées en 2013. En revanche, après l’entrée en vigueur de l’accord conclu en 2015, le stock d’uranium de l’Iran s’est drastiquement réduit. Le stock d’uranium faiblement enrichi passe de quelque 7.000 à 300 kilogrammes, et le stock d’uranium enrichi à 20% disparaît. Mais l’Iran, à ce jour, en raison des infractions commises, a bien recommencé à reconstituer ses stocks. Si le souci principal est vraiment de l’éloigner de la capacité à produire l’arme nucléaire, la priorité absolue devrait donc être de revenir au plus vite à la pleine application de la lettre et de l’esprit de l’accord de Vienne : à savoir la stricte limitation de la production iranienne d’uranium enrichi en échange de la levée des sanctions. Ce qui implique le plein retour des Américains dans l’accord.

Et s’il est ensuite un but de négociation qui devrait l’emporter sur tous les autres, ce serait de consolider et de prolonger dans le temps cet accord, dont la principale faiblesse est la durée limitée. En effet, les contraintes acceptées par l’Iran commencent à se desserrer dès 2025. Les quatre ans qui nous séparent de cette date doivent être mis à profit, d’abord pour restaurer la confiance sérieusement écornée par l’application minimaliste de l’accord par les États-Unis, suivie de leur abrupte sortie en 2018. Ensuite pour bâtir dans l’esprit initial de l’accord un dispositif plus pérenne.

          Programme balistique, influence régionale


Restent, bien entendu, les autres questions soulevées par notre Président, qui rejoignent d’ailleurs la vision de l’administration Biden. Que penser d’une limitation du programme balistique iranien ? Un certain nombre de pays de la région ne pourraient que s’en réjouir. Pour pouvoir progresser sur ce sujet, encore faut-il comprendre la conception qu’en ont les Iraniens. Leur arsenal compense à leurs yeux le déficit de l’Iran en matière d’avions de combat, puisqu’il n’a pas accès aux grands fournisseurs internationaux, et que sa flotte aérienne est totalement obsolète. D’autre part, il voit ses missiles comme un instrument de deuxième frappe, donc de riposte au cas où son territoire se trouverait agressé. C’est donc pour lui sa meilleure, et même sa seule arme crédible de dissuasion. Ceci pour dire que l’on aura du mal à obtenir de lui des garanties en la matière si ceux qui l’inquiètent n’en n’offrent pas d’équivalentes. L’Iran n’a aucune raison d’être le seul à se laisser limer les dents. Il ne saurait y avoir de « mauvais missiles » iraniens et de « bons missiles » et avions de combat saoudiens ou israéliens.

La question fort importante de la stabilité de la région et de l’influence que l’Iran y exerce se pose à peu près dans les mêmes termes. Pour faire bref, l’un des moyens d’affaiblir « le front de la résistance » constitué autour de l’Iran serait de progresser dans la solution de la question israélo-palestinienne. Cela ne réglerait pas tout mais autoriserait enfin une détente sur le front régional. Ce jour venu, peut-être Israël et l’Arabie saoudite pourraient être associés à la concertation que le Président de la République appelle de ses vœux.

          La raison de l’Iran


L’Iran a fait dans le passé de grosses bêtises, il en fera encore à l’avenir. Ceci n’exclut pas qu’il puisse avoir parfois raison. Quand son ministre des Affaires étrangères Djavad Zarif appelle à la définition d’une« chorégraphie » permettant d’aboutir simultanément au plein retour des États-Unis dans l’accord de Vienne et au plein retour de l’Iran à ses propres obligations, la proposition paraît relever du simple bon sens. Il est curieux qu’elle se heurte encore à des tergiversations.

De même, quand le Guide suprême Ali Khamenei fait allusion à l’intérêt d’un processus de vérification de la mise en œuvre loyale des engagements pris par les partenaires de l’Iran, notamment en matière de levée de sanctions, de même que l’AIEA vérifie la bonne exécution des engagements nucléaires de l’Iran, il soulève une vraie question. Mais surtout, en cette affaire, il s’agit maintenant d’aller vite. Le temps utile pour dénouer la crise ne dépasse plus les quelques semaines. Car vient ensuite l’élection présidentielle iranienne, qui renvoie la capacité de renouer des contacts utiles avec Téhéran au-delà de l’été. Donc dans un futur incertain, si l’on considère à la fois les surprises pouvant sortir de l’élection et les troubles qui agitent la région.

Paru le 9 février dans Boulevard Extérieur

jeudi 10 décembre 2020

Fakhrizadeh : les dessous et les effets d'un assassinat

 En avril 2018, Benyamin Netanyahou dévoile en une conférence de presse les détails du programme nucléaire clandestin de l’Iran obtenus à la suite d’un raid du Mossad dans un entrepôt du sud de Téhéran. Il demande alors à ses auditeurs de retenir le nom de Mohsen Fakhrizadeh, présenté comme le cerveau de ce programme. C’était le baiser de la mort. De fait, deux ans et demi plus tard, Fakhrizadeh est abattu sur une route à l’est de la capitale iranienne en une opération spectaculaire et complexe, mobilisant au moins une demi-douzaine de tireurs, et un solide réseau de soutien logistique. Tous les regards se tournent alors vers Israël. Il est vrai que l’État hébreu cache à peine sa responsabilité dans cinq tentatives antérieures d’assassinat, dont quatre réussies, sur des scientifiques iraniens du nucléaire, entre 2010 et 2012. Pourquoi, huit ans plus tard, Fakhrizadeh ?
 
Un scientifique et militaire qui sort de l’ombre
 
Cet universitaire, également officier dans le corps des Pasdaran, ou Gardiens de la révolution, est déjà repéré dans la première décennie des années 2000 par les Services occidentaux et l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) comme le responsable d’un programme nucléaire clandestin devant conduire à l’acquisition de l’arme nucléaire. L’AIEA, dans son travail d’enquête, demande d’ailleurs à l’entendre, mais sans succès. Fin 2003, selon le renseignement américain, Les Iraniens prennent la décision d’interrompre ce programme. Fakhrizadeh est-il alors au chômage ? Pas tout à fait. Une telle entreprise ne peut s’arrêter du jour au lendemain. Selon les indices recueillis par l’AIEA, Fakhrizadeh veille au bon repli de ses hommes et de ses moyens. Tous les dossiers relatifs à ce programme sont alors archivés. Persévérant, il pilote encore pour un temps des études dispersées pouvant être utiles à l’acquisition d’un engin nucléaire. En 2015, l’AIEA affirme ne trouver aucune trace d’activités suspectes au-delà de 2009. Et ceci est confirmé par l’analyse des milliers de documents recueillis par les Israéliens, dont aucun ne se situe après cette date.
 
Pour dissiper une confusion entretenue par beaucoup de commentateurs, il faut ici rappeler que cette histoire est distincte des développements du programme nucléaire iranien placé sous contrôle de l’AIEA. Même si ce programme, lui tout-à-fait visible, suscite depuis longtemps des inquiétudes sur les moyen et long termes, il affiche une finalité industrielle qui ne se confond pas avec un programme de fabrication d’un engin nucléaire. Bien entendu, il est toujours possible de maintenir des passerelles entre un programme visible, internationalement contrôlé, et un programme caché de nature militaire. Pour ce qui concerne l’Iran, il est clair que Fakhrizadeh n’avait autorité que sur le programme clandestin, le premier étant confié à une institution spécifique, l’Organisation iranienne de l’énergie atomique, gérée par des civils.
 
Il a donc dû se trouver dans une sorte de semi-retraite à compter des années 2010. Il sort d’ailleurs à cette époque de la clandestinité, devient visible dans son rôle de professeur d’université, et son visage apparaît sur des photographies. Il semble avoir joué un rôle discret de conseiller technique de la délégation iranienne dans les négociations ayant abouti en juillet 2015 à la conclusion de l’accord de Vienne renforçant les contrôles sur le programme nucléaire iranien. Il avait été récemment décoré à ce titre par Hassan Rouhani, Président de la République. Il a également été présenté après son décès comme ayant participé aux recherches sur un vaccin iranien contre le Covid19.
 
Pour Israël, agir avant l’inauguration de Biden
 
Mais pour Israël, le loup ne pouvait se transformer en agneau. Pourquoi avoir choisi ce moment pour l’abattre ? Tout simplement, parce ce que plus on attendait, plus augmentait le risque de démarrer sur un très mauvais pied la relation entre Israël et l’administration de Joe Biden, dont la posture à l’égard de la politique de l’État hébreu s’annonce déjà en retrait par rapport à celle de Trump. Un tel attentat, juste avant, ou pire encore, après l’inauguration du nouveau Président américain aurait été vécu par lui comme un camouflet, dont les dégâts auraient été difficiles à réparer. Il faut rappeler que les États-Unis d’Obama, donc de Biden comme vice-président, avaient clairement marqué leur désapprobation des assassinats de scientifiques iraniens dans les années 2010-2012.
 
L’administration Trump a-t-elle été associée à l’assassinat de Fakhrizadeh ? Pas forcément. En a-t-elle été informée au préalable ? Sans doute, mais sans avoir eu nécessairement à prendre parti. Tout laisse à penser que les militaires américains, les agents de la CIA et autres fonctionnaires – l’État profond en somme -- sont déjà, comme toutes les administrations du monde, en position d’attente face à des dirigeants sur le départ. Mieux vaut, dans ces périodes, éviter les initiatives, les excès de zèle, qui pourraient ensuite vous être reprochés par les équipes montantes.
 
L’Iran tombe dans un piège. Pourra-t-il en sortir ?
 
En Iran même, quelles ont été les réactions ? La mort de Fakhrizadeh n’a pas soulevé l’émotion populaire qu’avait provoqué l’assassinat, au début de l’année, du Général Qassem Soleimani par un drone américain. Mais dans les cercles du pouvoir, le choc a été profond : en raison de la déférence que l’homme y inspirait, et aussi pour les béances du dispositif de sécurité que l’affaire a révélé, face à des réseaux parvenus à s’ancrer au cœur de la société iranienne.
 
Après l’attentat, le Président Rouhani a dit l’importance de ne pas tomber dans le piège tendu par Israël en réagissant à contre-temps. C’est qu’il dispose d’une fenêtre étroite pour obtenir de la nouvelle administration américaine, bien disposée a priori, un allègement des sanctions frappant l’Iran. Une formule doit être trouvée avant le mois de juin, date des prochaines élections présidentielles iraniennes. Certes, Rouhani ne quittera pas sa fonction avant août, mais il n’expédiera alors que les affaires courantes. Et l’on ne sait évidemment rien aujourd’hui sur le profil de son successeur, ni sur son comportement dans les affaires nucléaires. Tout ce dont on peut présumer, c’est qu’il émanera des factions conservatrices.
 
Or le Parlement, lui aussi conservateur, sous prétexte de réagir à l’assassinat de Fakhrizadeh, vient de compliquer sérieusement la tâche d’Hassan Rouhani. Une loi, qu’il vient d’adopter en urgence, oblige le gouvernement à accélérer le programme nucléaire iranien, en produisant plus d’uranium légèrement enrichi, en réactivant la production d’uranium enrichi à 20%, en mettant en œuvre la production d’uranium métal, en lançant la construction d’un second réacteur de recherche fonctionnant à l’eau lourde. La loi prévoit enfin de revenir dans les deux mois sur l’acceptation des contrôles renforcés de l’AEIA mis en place dans le cadre de l’accord de Vienne, sauf retrait américain des sanctions contre les banques et le pétrole. Il s’agit là d’autant de dispositions parfaitement provocatrices, propres à susciter des soupçons sur les ambitions militaires de l’Iran. Si elles étaient effectivement mises en œuvre, elles ruineraient toutes chances d’accord avec Washington.
 
Netanyahou peut donc se frotter les mains. Rouhani va sans doute tenter de louvoyer avec la loi, mais ceci ne pourra tenir qu’un temps si le Guide suprême ne lui apporte pas son concours. Ali Khamenei le voudra-t-il ? Il répète à qui veut l’entendre qu’il n’a aucune confiance dans la parole des États-Unis, et manifeste une opposition viscérale à toute ouverture en direction de l’Occident. La lueur d’espoir qui reste à court terme serait de voir l’administration de Joe Biden ignorer ces provocations et faire d’emblée un geste unilatéral en matière de levée des sanctions, en attendant d’être payé de retour. Mais ceci serait-il acceptable par le Congrès, l’opinion publique américaine ? Rien n’est moins sûr, tant il serait aisé de dénoncer une démonstration de faiblesse. Rouhani parviendra-t-il à s’extraire de ce guêpier ? Force est de conclure à ce jour sur de lourdes interrogations. Gouverner n’est nulle part une tâche facile. Elle l’est moins que partout ailleurs en Iran.
 
  

jeudi 18 juin 2020

L’Iran, le nucléaire, et les autres : l’Accord de Vienne dans la tourmente

(publié le 17 juin 2020 par le site Orient XXI)

Depuis deux ans, depuis la sortie des États-Unis de l’Accord nucléaire de Vienne, dit aussi JCPOA, l’Administration américaine guette les signes d’un effondrement de l’économie iranienne, prélude à la mise à genoux de la République islamique. Les plus acharnés y croient encore, persuadés que le garrot des sanctions progressivement resserré sur les personnes, les institutions et les entreprises produirait les effets d’un blocus. Il les a produits en effet, mais sans atteindre le but ultime recherché. Certes, l’Iran n’exporte pratiquement plus de pétrole, mais la part des hydrocarbures dans son produit intérieur brut a régulièrement diminué sur longue période, n’atteignant aujourd’hui que 15%. L’économie a donc d’autres ressorts, d’autres ressources, et dispose de la masse critique d’une population de 80 millions d’habitants. Certes, cette population souffre. Récemment, le pays a connu à deux reprises des manifestations violentes, mais celles-ci n’ont jamais vu la jonction décisive des classes populaires et des classes moyennes, aucun leader charismatique n’y a émergé, elles ont pu être matées sans états d’âme par le Régime.

La fureur des États-Unis contre l’Accord de Vienne

La frustration de Trump et de ses partisans tourne donc à l’exaspération. Sachant qu’il serait suicidaire d’aller à la guerre à la veille de l’élection présidentielle, ils s’en prennent à présent à l’Accord de Vienne lui-même, avec l’idée de le réduire en miettes. Peu importe les conséquences. On aurait cru l’Accord protégé par la volonté des six participants restants, Iran compris, de continuer à l’appliquer, protégé aussi par son adossement à une résolution du Conseil de sécurité des Nations-Unies en approuvant tous les termes. Cette résolution présentée par les États-Unis eux-mêmes, a été parrainée et adoptée le 20 juillet 2015 par les quinze membres du Conseil dans la foulée de la conclusion de l’Accord. Mais cette construction était fragile. D’abord parce que le JCPOA lui-même était rédigé, à la demande des Américains, comme une simple déclaration commune d’intentions. Un accord en bonne et due forme aurait dû être ratifié par le Congrès, où l’Administration d’Obama ne détenait pas de majorité. Ensuite, parce que la résolution du Conseil de sécurité était tournée, là encore à la demande des Américains, de façon à ne rendre en aucune façon obligatoire, au sens de la Charte des Nations unies, la mise en œuvre de l’Accord par les participants et par tous les États-membres de l’ONU. C’est ainsi que Trump a pu s’en extraire par une simple décision.

Ceci fait, le JCPOA a néanmoins continué sa route, clopin-clopant, avec l’allure d’une bête blessée, reproche vivant à ceux qui l’avaient quitté. Les Iraniens ont d’abord veillé à en respecter scrupuleusement les termes, ce qu’ont attesté les rapports trimestriels des inspecteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Et ceci malgré l’incapacité des Européens, des Russes et des Chinois à les récompenser par des échanges commerciaux réguliers. L’action dissuasive des sanctions américaines, l’empire du dollar sur les règlements en devises, ont en effet découragé les entreprises susceptibles de travailler avec l’Iran.

Les choix transgressifs de l’Iran

Déjà en mai 2019, un an après sa sortie de l’Accord, l’Administration américaine, ne voyant aucun fléchissement du côté de Téhéran, portait un premier coup à l’architecture de l’Accord de Vienne. Elle met fin alors aux dérogations qui permettaient à l’Iran d’exporter ses productions d’uranium légèrement enrichi et d’eau lourde lorsque les stocks accumulés dépassaient les limites posées par l’Accord. Ces plafonds avaient été mis en place pour empêcher l’Iran de constituer des provisions importantes de deux matières pouvant contribuer à la production de l’arme nucléaire. Dès lors, l’Iran n’a d’autre choix, pour respecter le plafond de 300 kilogrammes d’uranium légèrement enrichi, en vérité le plus critique en termes de prolifération, que d’arrêter tout ou partie de ses centrifugeuses, ou encore de rediluer son uranium légèrement enrichi au fur et à mesure de sa production. Mais il choisit une troisième voie, transgressive celle-là, en s’affranchissant de ce plafond, et donc en accumulant progressivement un stock d’uranium enrichi qui à ce jour, au bout d’un an, a été multiplié par huit. L’Iran précise toutefois qu’il n’a pas l’intention de sortir de l’Accord de Vienne et qu’il reviendra à une stricte application de l’accord dès que les autres parties lui permettront d’en tirer les bénéfices attendus. Et pour faire pression sur ses partenaires, toujours impuissants à contrer les menées de Washington, il donne de deux mois en deux mois de nouveaux coups de canif au JCPOA : franchissement du taux d’enrichissement maximal de l’uranium autorisé par l’Accord, qui passe de 3,67% à 4,5%, reprise des activités de recherche et de développement pour la mise au point de centrifugeuses plus performantes, relance de l’enrichissement sur le site souterrain de Fordo, que l’Accord de Vienne avait mis en sommeil. Le JCPOA semble alors à l’agonie.

Une entourloupe à l’horizon

Mais en avril dernier, le Secrétaire d’État Mike Pompeo redonne du grain à moudre aux soutiens de l’Accord par une nouvelle provocation. Il déclare en effet vouloir absolument empêcher que soit prochainement levé l’embargo sur les ventes d’armes à l’Iran instauré par le Conseil de sécurité antérieurement à la conclusion du JCPOA, et que le Conseil s’était engagé par sa résolution de juillet 2015 à abolir en octobre 2020. Il annonce donc que les États-Unis vont prochainement présenter au Conseil un projet de résolution visant à prolonger indéfiniment ces sanctions. Il annonce surtout qu’au cas où cette résolution serait rejetée -- hypothèse fort probable en raison notamment du soutien à l’Iran de la Russie et de la Chine, détentrices du droit de veto --, il n’hésiterait pas à faire jouer la clause dite de snap-back, contenue dans la résolution de juillet 2015, permettant à tout participant au JCPOA de rétablir par son seul vote tout ou partie des sanctions de l’ONU précédemment infligées à l’Iran.

Le raisonnement fait alors scandale. Il s’appuie en effet sur une entourloupe juridique, la résolution de juillet 2015 ne précisant pas expressément qu’un pays désigné comme « participant » au JCPOA, en l’occurrence les États-Unis, cesserait de l’être au moment où il se retirerait de l’Accord. La manœuvre paraît indigne d’un pays sérieux. Pourrait-elle néanmoins réussir ? Assistera-t-on à une révolte de tout ou partie des membres du Conseil de sécurité ? L’on en saura plus dans les semaines ou les mois à venir.

Haro sur les coopérations nucléaires avec l’Iran

Mais en attendant, Mike Pompeo, décidément acharné à poursuivre la destruction du JCPOA, remet fin mai le couvert. Il annonce que les États-Unis vont mettre bientôt fin aux dérogations, ou waivers, qui protégeaient des sanctions américaines la coopération instaurée par l’Accord entre l’Iran et ses partenaires pour réorienter certains projets nucléaires iraniens posant de sérieux risques de détournement à des fins militaires. C’est ainsi que l’Iran avait commencé à bénéficier d’une aide pour modifier les plans d’un réacteur de recherche en cours de construction près de la ville d’Arak de façon à réduire drastiquement sa production de plutonium. Or le plutonium offre la deuxième voie d’accès à la bombe aux côtés de l’enrichissement de l’uranium. Pompeo annonce aussi que les États-Unis empêcheront de fournir à l’Iran le combustible à base d’uranium enrichi à 20% nécessaire au fonctionnement du petit réacteur de recherche de Téhéran, vendu dans les années 1960 à l’Iran par les Américains eux-mêmes. À noter que Mike Pompeo n’a pas évoqué dans sa déclaration les quelque mille centrifugeuses du site enterré de Fordo qui devaient être réaffectées à d’innocentes activités de recherche et de production d’isotopes médicaux, la coopération internationale en cette affaire ayant été interrompue par la décision iranienne d’utiliser à nouveau ces centrifugeuses pour la production d’uranium enrichi.

La décision américaine apparaît ainsi à tout le monde comme une sorte de « pousse-au-crime », et du côté iranien, renaissent les déclarations évoquant la possibilité de sortir définitivement du JCPOA, ou même du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP). Il est clair en tous cas dès à présent que l’Iran ne laissera pas passer une nouvelle humiliation au Conseil de sécurité sans une réaction de première grandeur. Et l’une des réactions possibles à cette nouvelle vague de punitions pourrait être de reprendre sur son sol l’enrichissement d’uranium à 20%, auquel avait mis fin l’Accord de Vienne. L’on se rapprocherait alors dangereusement des hauts enrichissements à visée militaire.

Les timidités de l’Europe

Comment ont réagi à ces attaques américaines les autres partenaires du JCPOA ? Les Russes ont été jusqu’à présent les plus clairs pour condamner les derniers projets américains. Les Chinois, empêtrés dans bien d’autres querelles avec les États-Unis, sont restés plus discrets, mais ne manqueront pas le moment venu d’agir comme les Russes. Quant aux Européens, ils n’ont pas encore officiellement indiqué comment ils réagiraient au cas où les Américains pousseraient leurs projets au Conseil de sécurité. Peut-être comptent-ils sur les Russes et les Chinois pour les bloquer. À ce jour, seul Josep Borrell, le Haut représentant de l’Union européenne, a marqué publiquement sa désapprobation de la mise en œuvre de la procédure de snap-back par les États-Unis. En ce qui concerne le retour des sanctions contre les activités nucléaires iraniennes bénéficiant d’une coopération internationale, les trois Européens participant au JCPOA – Allemand, Britannique et Français -- ont inauguré la formule d’une déclaration commune « regrettant profondément »’la décision américaine, déclaration émise toutefois, non par les ministres avec le Haut représentant de l’Union européenne, mais par les porte-parole de leurs administrations respectives. Façon de se défausser sur des fonctionnaires subordonnés de la responsabilité de de mettre en cause les États-Unis.

Ceci augure mal de la volonté européenne de poursuivre malgré les sanctions américaines une coopération fort utile pour la non-prolifération. Elle pourrait pourtant continuer, au moins en mode dégradé, dans la mesure où elle est sans doute portée par une majorité d’entreprises de service public, peut-être mieux à même de résister aux sanctions, dans la mesure aussi où un certain nombre d’activités de coopération pourrait ne pas se traduire en flux financiers, cible principale des sanctions, mais en soutiens pratique et intellectuel. Osera-t-on ainsi finasser ? Rien n’est moins sûr.

Encore au moins cinq mois de crise

Et puis, la suite dépend aussi du comportement de l’Iran. Celui-ci est en ce moment en délicatesse avec l’AIEA, car lui refusant l’accès à deux sites non déclarés, suspectés d’avoir abrité des activités ou des équipements nucléaires clandestins, et refusant aussi de s’expliquer sur la découverte en un autre site par les inspecteurs de l’Agence de particules d’uranium d’un type introuvable dans la nature, donc témoignant d’une activité humaine. Si le conflit ne se résout pas, l’affaire pourrait en principe atterrir sur la table du Conseil de sécurité, ce qui ne serait pas dans l’intérêt de l’Iran.

Tout laisse donc augurer dans les mois à venir de relations chahutées en matière nucléaire entre l’Iran et les États-Unis, mais aussi entre l’Iran et ses partenaires du JCPOA, enfin entre ces derniers et les États-Unis. Sans oublier l’AIEA, vouée à naviguer dans une mer semée d’écueils. À ceci s’ajoutent les tensions politiques dans le Golfe persique, et les tensions encore plus graves parcourant le Proche-Orient. Israël, mais aussi l’Arabie saoudite, restent en embuscade pour favoriser tout ce qui pourrait déstabiliser l’Iran. C’est donc un chemin chaotique que la diplomatie internationale va devoir parcourir jusqu’à l’élection présidentielle américaine, dont il faut espérer qu’elle débouchera sur de plus souriantes perspectives.

dimanche 7 juillet 2019

IRAN, ÉTATS-UNIS : LES DERNIÈRES MUTATIONS DE LA CRISE NUCLÉAIRE


(paru le 5 juillet sur le site "Orient XXI")

L’obsession anti-iranienne de la Maison-Blanche aura au moins produit une perle. Elle gît dans un communiqué émis le 1er juillet, suite au franchissement par l’Iran du seuil de 300 kilogrammes d’uranium légèrement enrichi fixé par l’accord signé en 2015 à Vienne avec l’Allemagne, la France, la Chine, les États-Unis, la Grande-Bretagne et la Russie. On y lit : « Il ne fait guère de doute qu’avant même l’existence de l’Accord, l’Iran en violait les termes ». Sans commentaires… Trois semaines avant, alors que Téhéran avait déjà fait connaître son intention de s’affranchir notamment de ce seuil s’il n’obtenait pas un juste retour sur son adhésion à l’Accord, l’ambassadrice des États-Unis auprès de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) demandait publiquement à l’Iran de « revenir sans délai à ses engagements ». Étonnante injonction venant d’un pays s’étant lui-même affranchi de ses obligations en sortant de l’Accord. Si l’on ajoute toutes les déclarations à l’emporte-pièce, souvent d’ailleurs contradictoires, des responsables américains, il faut remonter à l’époque de la dernière guerre d’Irak pour percevoir dans l’Administration américaine une telle surchauffe mentale. Comment en est-on arrivé là ?

L’étranglement de l’Iran

Pour s’en tenir aux causes immédiates, tout a commencé avec la décision américaine, fin avril, de mettre un terme aux permissions encore accordées à quelques pays d’acheter du pétrole iranien. Désormais l’Iran ne doit plus pouvoir exporter une goutte de pétrole. C’était condamner à l’asphyxie l’économie iranienne. Une semaine auparavant était tombée la l’inscription, hautement humiliante, de l’organisation des Gardiens de la Révolution sur la liste américaine des organisations terroristes étrangères. Un mois plus tard, viendra la décision, elle aussi infâmante, de placer sous sanctions le Guide de la Révolution et tous les responsables lui devant directement leur nomination. Début mai, les Américains entravent pour la première fois le bon fonctionnement de l’Accord de Vienne en interdisant à l’Iran d’exporter, comme il y était expressément autorisé, l’uranium légèrement enrichi et l’eau lourde produits en excédent des plafonds fixés par l’Accord. Puis le 8 mai, jour anniversaire de la sortie américaine de l’Accord, ce sont les exportations iraniennes de fer, d’acier, d’aluminium et de cuivre qui se trouvent empêchées. Début juin, les principales compagnies pétrochimiques iraniennes sont placées sous sanctions. Entre mai et juin, c’est donc une vague sans précédent de nouvelles sanctions qui s’abat sur l’Iran, avec le but avoué de contraindre l’Iran à négocier sur tous les sujets qui fâchent l’Amérique : le nucléaire, mais aussi son programme balistique et son influence dans sa région. Et pour beaucoup de « Faucons », il s’agit, en poussant l’Iran à la faute, de déclencher un enchaînement propre à précipiter, par la guerre ou par un soulèvement intérieur, la chute du régime.

Rendre coup pour coup

Cette dernière volée de sanctions aboutit à un blocus de type moderne, non plus mené par des navires de guerre, mais par un vaste et complexe dispositif de sanctions léonines empêchant pratiquement tout commerce avec l’extérieur. Les cinq partenaires de Téhéran encore présents dans l’Accord réagissent alors sans grand courage : ce sont des « regrets », des « appels à la retenue », mais rien qui puisse faire revenir Washington sur ses pas. L’Iran abandonne dès lors la « patience stratégique » doit il avait fait preuve. Il rend désormais coup pour coup -- mais de façon suffisamment calculée pour placer chacun devant ses responsabilités. Après l’interdiction d’exporter son pétrole, émise le 22 avril, c’est très vraisemblablement lui qui inflige le 12 mai des dommages à quatre navires pétroliers au large des Émirats arabes unis. Suite aux sanctions du 7 juin contre son industrie pétrochimique, viennent le 13 de nouvelles attaques contre deux navires en Mer d’Oman : dans les deux circonstances, pas de mort, des dégâts légers, donc avertissement sans frais. L’Iran avait dit à plusieurs reprises que s’il ne parvenait pas à exporter son pétrole, personne dans le Golfe persique n’y parviendrait. Le 3 mai, les États-Unis interdisent à l’Iran d’exporter son uranium et son eau lourde excédentaires. Le 8, Téhéran répond qu’il s’affranchit des deux plafonds fixés sur ces produits par l’accord de Vienne, et qu’il prendra d’autres initiatives –enrichissement d’uranium au-delà du seuil de 3, 67% fixé par l’Accord, relance d’un projet de réacteur à l’eau lourde fortement plutonigène – si ses partenaires ne parviennent pas dans les soixante jours à desserrer l’étau américain. Enfin, dès la mise au pilori des Gardiens de la Révolution, l’Iran met en alerte ses forces et celles de ses alliés : milices irakiennes, Hezbollah, peut-être d’autres. Les Américains ripostent en renforçant leurs effectifs dans la Péninsule arabique. Pas intimidés, les Iraniens abattent le 20 juin un drone américain en mission d’observation de leur territoire. Les Américains préparent des représailles, mais Trump arrête au dernier moment l’opération. Personne ne veut franchir la ligne rouge du premier mort, au-delà de laquelle on entrerait dans l’inconnu : pour la région, mais aussi pour la vie politique américaine, alors qu’approche une nouvelle élection présidentielle. L’escalade marque une pause.

Retour au nucléaire

L’attention, dès lors, se concentre à nouveau sur le nucléaire. Le 1er juillet, l’Iran annonce avoir franchi le seuil des 300 kilogrammes d’uranium légèrement enrichi. La nouvelle fait le tour du monde. En réalité, la démarche est encore, à ce stade, symbolique. Téhéran répète à l’envi qu’il n’abandonne pas l’Accord de Vienne  : cette transgression, et celles qui pourraient venir, seront immédiatement annulées dès que ses partenaires seront parvenus à alléger l’effet des sanctions américaines.

De fait, il n’y a pas péril en la demeure tant que l’Iran ne se rapproche pas d’un stock d’une tonne d’uranium légèrement enrichi, quantité nécessaire pour produire, au prix d’un enrichissement supplémentaire, la vingtaine de kilogrammes d’uranium enrichi à 90% permettant de confectionner une première bombe. Encore faut-il la fabriquer, ce qui prendrait un certain nombre de mois. Mieux vaudrait d’ailleurs en posséder au moins deux ou trois, car une seule, une fois testée, laisserait l’Iran vulnérable. L’échelle de temps est sans doute ici de trois à cinq ans.

Quant à la production d’eau lourde en dépassement du seuil de 130 tonnes, elle ne présente aucun danger à court ou moyen terme. Elle n’a en effet d’utilité qu’employée dans un réacteur de type hautement plutonigène – la production de plutonium est la deuxième voie vers la bombe --, qui reste à mettre en œuvre. Encore faut-il le faire fonctionner un ou deux ans, puis, dans des installations spéciales, elles aussi à construire, extraire le plutonium généré dans l’uranium naturel ayant servi de combustible. L’échelle de temps est là de 10 à 15 ans.

Dans l’immédiat, un geste de la part de l’Iran justifierait l’expression d’une grave inquiétude, et la prise de mesures de rétorsion. Ce serait de chasser les inspecteurs de l’AIEA qui surveillent ses installations nucléaires et leur production. La Corée du Nord l’a fait en décembre 2002, s’ouvrant la voie vers la bombe. Mais rien n’indique que l’Iran aille en ce sens.

Une urgence diplomatique

Tout ceci pour dire, non qu’il n’y a pas urgence, mais que celle-ci relève de la diplomatie, non des frappes et de la guerre. Nous voilà ramenés à la question : comment convaincre l’Iran de revenir au respect de l’Accord de Vienne ?

Certainement pas par des pressions additionnelles telles que l'envoi du dossier iranien au Conseil de sécurité, et le retour de sanctions des Nations Unies et de sanctions européennes. L’Iran se crisperait aussitôt et sortirait carrément de l’Accord. Non, la seule voie ouverte est d’offrir à l’Iran au moins une partie des bénéfices qu’il escomptait de son adhésion à cet Accord. Les partenaires de l’Iran l’ont d’ailleurs bien compris.

Déjà, les Européens ont mis à grand peine au point un dispositif de troc évitant à leurs transactions de passer par le dollar, facteur déclenchant des sanctions américaines. Celui-ci, baptisé INSTEX, vient tout juste d’être déclaré opérationnel. Mais son rendement restera, pour un temps indéfini, modeste. Les grandes sociétés européennes, et même les moyennes, très exposées aux sanctions américaines, n’ont pas l’intention d’y recourir. Il ne servira donc pas à acheter du pétrole iranien, pour lequel Téhéran cherche désespérément des acquéreurs. Tout juste permettra-t-il de vendre des produits médicaux et alimentaires, exemptés de sanctions pour raisons humanitaires.

Les Russes, les Chinois, pourraient-ils être plus efficaces ? Les premiers ont laissé entendre qu’ils aideraient les Iraniens à vendre leur pétrole. L’on n’en sait pas plus pour le moment. Les Chinois, gros clients de pétrole iranien, ont dit qu’ils ne se soumettraient pas aux « sanctions illégales » américaines. Mais, engagés dans une négociation commerciale délicate avec les États-Unis, ils doivent veiller à ne pas compromettre leurs chances de succès. En tout état de cause, Russes et Chinois ne paieront les Iraniens qu’en monnaie nationale, en faisant des clients captifs. Les solutions qu’ils apporteront, même bienvenues, seront donc imparfaites.

Les Iraniens continuent donc d’attendre beaucoup de l’Europe, trop sans doute. Elle ne convaincra pas Donald Trump de revenir dans l’Accord de Vienne, ni les Iraniens de le renégocier. Reste une voie étroite, celle de concessions mutuelles limitées que chaque côté pourrait présenter comme une victoire. Trump, au fond, serait heureux de pouvoir afficher à l’approche de l’élection présidentielle le succès diplomatique qui manque à son palmarès. Les Iraniens seraient soulagés de tout répit qui leur serait accordé. Des exemptions pétrolières contre un ralentissement de leur programme nucléaire devraient faire l’affaire. Encore faut-il que les Européens acceptent de jouer les intermédiaires, donc de prendre des risques. Tout est encore possible, pour le meilleur ou pour le pire.

mercredi 18 octobre 2017

SORTIR PAR LE HAUT DE LA CRISE NUCLÉAIRE AVEC L'IRAN


Donald Trump, en "décertifiant" hier l'accord de Vienne, dit aussi JCPOA, passé en 2015 avec l'Iran en compagnie de l'Allemagne, de la Chine, de la France, de la Grande-Bretagne et de la Russie, vient de confier au Congrès américain une épée de Damoclès qui menace la survie de l'accord. Le Congrès est invité à rechercher avec l'administration américaine et les alliés des Etats-Unis les moyens d'obtenir de l'Iran des modifications du JCPOA. Et si l'accord de Vienne ne peut être amendé, Donald Trump s'est engagé à en sortir, comme il peut le faire de sa propre initiative.

maintenir en vie l'accord de Vienne

L'avenir du JCPOA s'est donc assombri. Il est probable que l'Iran refusera de s'engager dans un alourdissement de ses obligations en matière nucléaire, sauf compensations que les autres parties n'ont aucune intention de lui accorder. À Téhéran, l'accord a été difficilement accepté par les radicaux du régime. Le gouvernement ne veut pas rouvrir cette boîte de Pandore. Quant à limiter son programme balistique, comme le réclament les Américains, soutenus par les Européens, il n'en est pas question. Contrairement à la négociation nucléaire, qui portait sur un programme civil, il s'agit là d'un programme de défense. Les Iraniens considèrent, non sans raison, qu'ils n'ont pas à accepter des contraintes qui pèseraient seulement sur eux, et non sur leurs voisins, pour beaucoup mieux armés qu'eux. Enfin, Donald Trump ayant annoncé de nouvelles sanctions visant à punir l'Iran pour son comportement en matière de terrorisme et de droits de l'Homme, l'Iran va être tenté de se raidir, comme il le fait quand il se sent agressé.

Que peuvent faire les Européens ? En cas de retrait des Américains, ils ont déjà manifesté leur intention de conserver l'accord de Vienne. Les Russes et les Chinois suivront, et probablement les Iraniens, pour ne pas perdre les bénéfices de la levée des sanctions. L'accord pourrait donc cheminer clopin-clopant. Les nouvelles sanctions américaines seraient plus gênantes que naguère car, avec la mondialisation, les Américains ont découvert qu'ils pouvaient sanctionner, sans clauses d'extra-territorialité, les entreprises étrangères ayant des intérêts aux Etats-Unis, ou ayant recours au système financier américain. Des solutions de contournement finiront bien par être trouvées. L'accord serait toutefois fragilisé, ainsi que les modérés iraniens, Président Rouhani en tête.

Une initiative pour l'Europe

Mais il s'agit là pour l'Europe d'une position défensive. Que peut-elle tenter pour sortir de la crise, et peut-être même conserver les Etats-Unis dans l'accord ? Puisque les Alliés des États-Unis doivent maintenant être consultés, l'on pourrait demander à Washington de suspendre pour un temps ses menaces. Et demander à Téhéran de songer à des gestes visibles, qui n'atteindraient ni ses intérêts, ni sa fierté. Au contraire. Il en est trois à la portée des Iraniens.

     Le premier serait de ratifier sans attendre le Protocole additionnel à leur accord de garanties avec l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), renforçant les contrôles sur leur programme nucléaire. Ce Protocole, que les Iraniens ont signé en 2003 mais n'ont pas encore ratifié, s'applique de façon anticipée dans le cadre de l'Accord de Vienne. Celui-ci prévoit aussi que ce Protocole sera présenté à la ratification du Parlement iranien en 2023. Pourquoi attendre cette date sans bénéfice apparent, alors que le gouvernement d'Hassan Rouhani dispose d'un parlement plutôt bienveillant, et que nul ne connaît l'issue des élections législatives de 2020, ni des présidentielles de 2021 ? L'adhésion au Protocole additionnel est un passage incontournable pour tout pays qui veut se présenter en possesseur légitime d'un programme nucléaire pacifique. C'est ce à quoi aspire l'Iran.

·   Le deuxième geste serait de ratifier le Traité pour l'interdiction complète des essais nucléaires (TICE), que l'Iran a signé en 1996. L'Iran s'étant déjà engagé, par son adhésion en 1970 au Traité de non-prolifération, à ne jamais acquérir d'arme nucléaire, il s'agirait d'un geste symbolique. Mais le symbole serait fort, car que la République islamique contracterait pour la première fois de son histoire un engagement international majeur de non-prolifération nucléaire.

      Le troisième geste serait d'adhérer au Code de conduite de la Haye contre la prolifération des missiles balistiques. Ce code, pour l'essentiel, enjoint à ses adhérents de déclarer l'état de leurs stocks et de décrire annuellement leur programme en la matière, enfin d'annoncer leurs essais à l'avance. A l'âge de la surveillance satellitaire globale des activités balistiques, ce ne serait pas pour l'Iran un recul en matière de défense. Ce serait en revanche un signal de bonne volonté important.

vers une solution régionale

Mais à vrai dire, pourquoi l'Iran irait-il accomplir ces trois gestes, alors qu'il respecte déjà à la lettre l'accord de Vienne, et que le responsable de la crise est clairement Washington ? Il existe une possibilité de l'encourager dans cette voie. La plupart des pays du Moyen-Orient n'ont pas non plus adhéré à ces trois instruments internationaux. C'est le cas, notamment, de l'Arabie saoudite et de l'Egypte. Pourquoi ne pas inviter tous les pays concernés à envisager ensemble une adhésion au Protocole additionnel de l'AIEA, au Traité d'interdiction complète des essais nucléaires, et au Code de la Haye ? Ils auraient un motif de s'asseoir à la même table. Ils auraient aussi l'occasion d'évoquer d'autres sujets qui les divisent : Syrie, Yémen… et ce serait une première réponse à une revendication constante de l'Iran en faveur d'un système régional de sécurité collective. Certes, Israël serait absent. Mais les pays de la région, Iran en tête, qui refusent de reconnaître l'État hébreu, s'interdisent à eux-mêmes de l'inviter à les rejoindre.


Voilà donc une initiative à la portée de l'Europe, et en particulier de la France qui a marqué son souci de trouver en cette affaire une solution négociée. Quant aux États-Unis, ils pourraient au moins faire l'effort de convaincre leurs amis de la Péninsule arabique de se joindre au projet. La Turquie aussi, qui a déjà adhéré à ces trois documents, pourrait aider. De bons esprits diront que les chances de succès sont réduites, mais la diplomatie, c'est ne jamais se résigner au pire, c'est toujours essayer.

dimanche 1 mai 2016

Les Français dans la négociation nucléaire avec l'Iran



La France a été, dès le début, étroitement impliquée dans la crise internationale déclenchée en 2002 par la découverte des développements inquiétants du programme nucléaire iranien. Elle a été associée à l’accord conclu le 14 juillet 2015 à Vienne, qui devrait, s’il est mis en œuvre comme prévu, en marquer la conclusion. Quel rôle a-t-elle joué entre ces deux moments cruciaux, au fil de treize longues années mêlant négociations, sanctions et pressions en tous genres ?


Avant la crise


Pour bien percevoir les enjeux de cette période, il convient de rappeler qu’auparavant, les Français avaient été mêlés de près aux débuts du programme iranien. Le Shah, dès les années 1950, se positionne en promoteur du nucléaire pour son pays, avec l’idée de réserver à court terme le maximum de sa production pétrolière pour l’exportation, et à long terme, de se prémunir contre l’épuisement inéluctable de ses réserves. Il se tourne spontanément vers les États-Unis pour le soutenir dans cette entreprise. Ceux-ci obtiennent de l’Iran qu’il adhère au Traité de non-prolifération nucléaire, ce qui l’amène à placer toutes ses installations nucléaires sous le contrôle de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Les États-Unis veulent en outre – déjà ! – brider le programme iranien en obtenant du Shah qu’il renonce aux technologies sensibles de l’enrichissement d’uranium et du retraitement de combustibles usés pour en extraire du plutonium : technologies dites « duales », car, outre leur intérêt civil attesté, elles ouvrent toutes deux la voie vers la bombe. Le Shah se tourne alors vers la France et l’Allemagne, moins regardantes sur ces sujets. En 1975, Siemens commence à construire deux réacteurs de puissance à Bouchehr. En janvier 1979, la France lance à son tour la construction de deux réacteurs à Darkhovin. Et surtout, dès 1974, la France ouvre à l’Iran une participation dans la société Eurodif, qui lui permettra, le moment venu, d’emporter 10% de la production de l’usine d’enrichissement du Tricastin, encore en projet. Pour faciliter cette réalisation, le Shah prête en outre au Commissariat à l’énergie atomique la somme d’un milliard de dollars. La France livre enfin à l’Iran un laboratoire de fabrication de combustible nucléaire, installé à Ispahan. Et elle forme des chercheurs, des ingénieurs, des techniciens iraniens dans ses universités et sur ses sites nucléaires.


Tout ceci s’effondre avec la révolution islamique, qui met fin aux grands programmes du Shah. Les Français tentent de récupérer leur mise, ce qui donne lieu à des contentieux orageux sur fond de guerre Irak-Iran, d’attentats et de prises d’otages. Et surtout, lorsque Khomeyni donne son feu vert à la relance du programme nucléaire iranien, les Français s’abstiennent d’y participer. Il est vrai que les Américains qui, dès le milieu des années 1980, soupçonnent l’Iran de travailler clandestinement à l’acquisition de la bombe, déploient dès lors d’intenses efforts diplomatiques pour décourager toute coopération avec les Iraniens dans le domaine nucléaire. Ils y réussissent assez bien. Seule la Russie les défie en acceptant de mener à terme le chantier de Bouchehr abandonné par les Allemands et bombardé à plusieurs reprises par l’aviation irakienne.


Début de crise, début de négociation


En 2002, coup de théâtre, le monde découvre, effaré, que l’Iran travaille à acquérir la maîtrise des deux technologies dont la prolifération inquiétait déjà les Américains dans les années 1970 : une usine d’enrichissement par centrifugation se construit dans les environs de la ville de Natanz, et près de celle d’Arak, c’est une usine d’eau lourde qui se prépare à entrer en production. Or l’eau lourde est un élément important du fonctionnement des réacteurs à uranium naturel, très fortement plutonigènes. Et les Iraniens ne dissimulent pas qu’ils se préparent à construire un réacteur de recherche de ce type. Certes, tout ceci finit par être déclaré à l’AIEA, qui envoie bientôt sur place ses équipes d’inspecteurs. L’Iran souligne d’ailleurs qu’aucune de ces activités n’est interdite par le Traité de prolifération nucléaire, mais chacun craint que ces technologies sensibles ne soient à un moment ou à un autre détournées vers des usages militaires. En outre, les inspecteurs de l’AIEA découvrent, au cours de leurs recherches, des expérimentations non déclarées, ce qui ajoute à la tension. Les Américains sont entre temps intervenus en Irak et, tout à leur victoire, ne sont guère portés à la conciliation. Ils veulent donc traîner l’Iran au Conseil de sécurité pour l’obliger à se soumettre.


C’est alors que les Français se dressent sur leur chemin. Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères, est persuadé qu'une confrontation est prématurée, qu'il faut donner une chance à la négociation. Il s'assure du soutien de son président, Jacques Chirac, et fait taire, au moins pour un temps, les objections de ses collaborateurs, qui craignent d'ouvrir une nouvelle crise avec les États-Unis, déjà ulcérés de l'absence de la France dans la coalition contre Saddam Hussein. Il convainc ses homologues allemand et britannique de se rendre avec lui à Téhéran pour y rechercher une solution d'apaisement. C'est ainsi que s'ouvre en octobre 2003 un dialogue dont le fil, malgré de nombreuses péripéties et plusieurs variations de format, ne sera jamais rompu jusqu'à son débouché sur l'accord de juillet 2015.


La solitude de Jacques Chirac


Mais cette première phase de discussions s'achève en 2005 sur un échec. L'impulsion donnée par Dominique de Villepin s'étiole après son départ pour le ministère de l'Intérieur en mars 2004. Jacques Chirac reste mobilisé, mais son autorité tend à s'éroder au fur et à mesure qu'il s’approche de la fin de son deuxième et dernier mandat. Les hauts fonctionnaires qui tiennent le dossier au Quai d'Orsay reprennent la main et veillent à n'être entraînés vers rien qui puisse ébranler la solidarité transatlantique. Or les Américains, s'ils se sont résignés à voir les Européens parler aux Iraniens, font fermement savoir que cette négociation ne peut avoir qu'un seul but : convaincre Téhéran de renoncer au développement de toute technologie sensible. Cette exigence se trouve résumée par la formule "zéro centrifuge". Mais elle est précisément inacceptable pour les Iraniens, qui ont fait de leur programme d'enrichissement d'uranium une grande cause nationale. Ils sont prêts à le brider sur ses aspects les plus sensibles, à l'entourer de contrôles supplémentaires, mais en aucun cas à l'arrêter.


Sur cette période, Jacques Chirac a pu au moins convaincre Georges W. Bush d'éviter toute initiative destructrice, et même de faire quelques gestes en direction des Iraniens : offre de pièces détachées pour les vieux avions Boeing de la flotte iranienne placée sous embargo, levée de l'opposition américaine à l'entrée de l'Iran à l'Organisation mondiale du commerce. Mais cette embellie est sans lendemain. En Iran, le populiste Ahmadinejad a succédé à l'été 2005 à l'aimable Président réformateur Mohammad Khatami, et ses propos incendiaires font monter la tension de plusieurs crans. Le dossier iranien reprend sa marche vers le Conseil de sécurité, où il atterrit en février 2006. Au même moment, l'Iran, qui avait suspendu son programme d'enrichissement le temps de la négociation avec les Européens, relance ses centrifugeuses et produit ses premiers grammes d'uranium enrichi. Le Président Chirac s'efforce encore, dans l'ultime période de son mandat, de renouer les fils de la négociation en tentant d’éviter le vote de sanctions par le Conseil de sécurité, mais il est carrément à contre-courant, y compris de ses propres troupes. ElBaradei, alors directeur général de l'AIEA, évoque dans ses mémoires l'écart qu'il perçoit à cette époque entre les propos entendus à l'Élysée et au Quai d'Orsay. En décembre 2006, tombe la première résolution du Conseil de sécurité intimant à l'Iran de suspendre à nouveau ses activités sensibles et lui infligeant, dans cette attente, des sanctions prises en vertu des dispositions du chapitre VII de la Charte des Nations Unies relatives aux menaces contre la paix. Téhéran, dont les installations en cause sont restées sans interruption sous surveillance de l'AIEA sans qu’aucune infraction n’y ait été relevée, dénie tout fondement légal à cette résolution et refuse d'obtempérer.


L’arrivée de Nicolas Sarkozy


Aux États-Unis, les "faucons" ne voient à toute cette crise qu'une seule issue crédible, le "Regime Change". Ils raniment alors la perspective d'un bombardement des installations nucléaires, militaires et stratégiques iraniennes. Entre temps, Nicolas Sarkozy a succédé à Jacques Chirac. Il arrive avec la volonté affichée de renouer une relation cordiale avec l'Amérique. Invité par le Président américain dans sa villégiature du Maine lors de ses premières vacances d'été, il en revient suffisamment impressionné par les propos de son hôte pour évoquer quelques jours plus tard devant les ambassadeurs de France réunis à Paris la nécessité "d'échapper à une alternative catastrophique : la bombe iranienne ou le bombardement de l'Iran". Peu après, son premier ministre, François Fillon, visitant une unité de blindés, apparaît aux journaux télévisés adossé à un char pour dénoncer la menace nucléaire iranienne. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères, n'est pas de reste. Tout en prônant une combinaison de négociation et de sanctions, il invite " à se préparer au pire, et le pire, c'est la guerre".


Dans cette ambiance, Nicolas Sarkozy, porté par son tempérament, cherche d'abord à forcer le destin. Il invite secrètement à Paris Ali Akbar Velayati, conseiller diplomatique du Guide suprême, et envoie également à Téhéran ses émissaires. Mais l'initiative tourne court. Le gouvernement d'Ahmadinejad fait savoir aux Français qu'il n'est pas lié par les propos de Velayati et les hauts fonctionnaires français qui se rendent en Iran n'y présentent aucune formule originale susceptible de débloquer la situation. Nicolas Sarkozy, sans doute déçu de n'avoir pu trouver un rôle à sa mesure, se positionne dès lors comme un "dur" dans la relation avec l'Iran. Les Français, persuadés que Téhéran poursuit sans désemparer ses visées nucléaires militaires, prennent régulièrement position, au Conseil de sécurité comme au sein de l'Union européenne, en faveur de sanctions renforcées. Ahmadinejad, bon connaisseur en matière de propos outranciers, se plaint des déclarations du Président français jugées agressives à l'égard de l'Iran.


C'est dans cette ambiance tendue que tombe, en novembre 2007, un rapport public du directeur de la communauté américaine du renseignement estimant "avec un haut niveau de confiance" que l'Iran a interrompu fin 2003 son programme clandestin de fabrication d'une arme nucléaire, et "avec un bon niveau de confiance" qu'il ne l'a pas depuis repris. Il s'agit, pour les services américains, de couper court à toute tentative de les instrumentaliser pour justifier une action de force, comme naguère dans l'affaire irakienne. Ce rapport soulève la fureur des "faucons" américains, mais aussi celle des Français, qui s'empressent de déclarer qu'ils n'ont ni les mêmes informations, ni les mêmes analyses. Mais le but est atteint : l'éventualité de frappes contre l'Iran se dissipe, et ne réapparaîtra plus jusqu'à la fin du mandat de George W. Bush.


Obama ou la volonté d’en sortir


L'arrivée d'Obama en janvier 2009 change la donne. Au cours de sa campagne, le futur Président avait déjà pris position pour une solution négociée avec l'Iran. Dès son arrivée à la Maison-Blanche, il émet des signaux de bonne volonté, tant publics que privés, en direction de la République islamique. Les Français s'en inquiètent, le font savoir, et s’affichent en partisans de la "fermeté", au point de s'attirer les compliments appuyés des opposants à la ligne du nouveau Président.


A l'été 2009, les équipes d'Obama préparent un ballon d'essai. Les Iraniens viennent de faire connaître à l’AIEA leur besoin de renouveler le combustible d’un inoffensif réacteur de recherche installé à Téhéran. Les Américains envisagent de les aider à la condition que Téhéran accepte de se séparer de l'essentiel du stock d'uranium légèrement enrichi qu'il a déjà accumulé grâce à l'activité de ses centrifugeuses. En raison de leur propre législation, les États-Unis sont empêchés de fournir eux-mêmes ce combustible, mais la Russie et la France pourraient s'en charger. Ahmadinejad se montre aussitôt intéressé. Mais dans les discussions qui se nouent au mois d’octobre, les Français, peut-être vexés de n'avoir été informés du projet qu'en cours de route, se montrent si peu coopératifs que les Iraniens en arrivent à demander publiquement qu'ils quittent la table des négociations. Finalement, l'affaire ne se fera pas, en raison de l'opposition de Khamenei, guide de la révolution, et du cœur conservateur du régime, qui ne souhaitent pas qu'Ahmadinejad conforte sa popularité au moyen d’un accord avec l'Amérique.


Une autre affaire a éclaté peu avant. Depuis 2006 au moins, les services occidentaux surveillaient la construction non loin de Qom, sur un site montagneux géré par les Pasdaran, garde prétorienne du régime, d'une importante installation souterraine. Ils acquièrent peu à peu la conviction qu'elle est vouée à accueillir une unité d'enrichissement. A l'été 2009, les Français jugent le moment venu de révéler au monde l'existence de cette installation clandestine, même si elle est encore loin d'être prête à entrer en activité. Ils souhaitent donner à cette annonce le plus grand éclat possible, peut-être pour créer le maximum d'embarras à la République islamique à la veille, précisément, de la négociation qui doit s'engager sur la fourniture du combustible destiné au réacteur de Téhéran. Sarkozy propose de le faire à l'occasion de la réunion solennelle du Conseil de sécurité qui se tient le 24 septembre à New-York sur les questions de prolifération et de désarmement nucléaires à niveau des chefs d'État et de gouvernement. Obama, qui a pris l'initiative de cette réunion, ne le souhaite pas, considérant que l'affaire n'est pas à l'ordre du jour, et le Président français, à l'étonnement du monde entier, réagit en le critiquant en pleine séance, en termes à peine voilés, pour se laisser aller à des généralités plutôt que de s'attaquer aux menaces du présent. L'affaire se dénoue le lendemain à l'occasion de la réunion du G20 à Pittsburg. En une conférence de presse hautement théâtralisée, Barack Obama, Nicolas Sarkozy et le Premier ministre britannique George Brown annoncent ensemble l'existence de l'installation souterraine en question, sans insister toutefois sur le fait qu'elle ne contient encore aucune centrifugeuse. Ayant eu vent de tout cela, les Iraniens se sont empressés de déclarer l'installation à l'AIEA un ou deux jours avant la fameuse conférence de presse. Mais cette déclaration n'a pas reçu de publicité. La surprise et l'émotion soulevées par les révélations des trois dirigeants occidentaux sont donc immenses.


Français contre Iraniens


De crises en dialogues de sourds, la gestion du dossier nucléaire iranien s’alourdit de nouvelles sanctions, et les Français sont chaque fois en première ligne lorsqu’il s’agit de les mettre au point et de les faire voter. Ils n’hésitent pas à critiquer en coulisse les hésitations américaines et s’attachent à apparaître comme les premiers de la classe lorsqu’il s’agit de convaincre leurs propres entreprises d’appliquer les sanctions adoptées. Les échanges économiques, scientifiques, universitaires français avec l’Iran vont en s’étiolant, même dans des domaines n’ayant aucun rapport avec le nucléaire ou le militaire. L’arrestation en juillet 2009 puis la rétention pendant 10 mois à Téhéran d’une jeune enseignante française, Clotilde Reiss, sous prétexte d’espionnage, dégrade de plusieurs degrés supplémentaires la relation entre les deux pays. A l’été 2011, Nicolas Sarkozy prend encore une fois position en faveur d’une ligne dure à l’égard de l’Iran : « L’autre pays dont je veux parler, c’est l’Iran. Ses ambitions militaires, nucléaires et balistiques, constituent une menace croissante. Elles peuvent aussi conduire à une attaque préventive contre les sites iraniens, qui provoquerait une crise majeure. L’Iran refuse de négocier sérieusement et se livre à de nouvelles provocations. À ce défi, la communauté internationale peut apporter une réponse crédible si elle fait preuve d’unité, de fermeté et impose des sanctions plus dures encore. Nous aurions tort d’en sous-estimer les effets : ils sont de plus en plus perceptibles ». Ces propos entraînent une réponse du représentant iranien aux Nations Unies dénonçant des « déclarations provocatrices, gratuites et irresponsables contre l'Iran » et affirmant que son pays « n'hésitera pas à agir en état de légitime défense pour riposter à toute attaque contre la nation iranienne ». L’ambassadeur de France aux Nations Unies, Gérard Araud, se lance aussi dans le débat : « Nous avons tout essayé avec les iraniens. Tout a été proposé et aucune piste n’a été laissée au hasard. L’Iran ne veut pas négocier avec la communauté internationale. L’Iran ne veut pas aller de l’avant ».


La fin de l’année 2011 apporte un nouveau rebondissement. Au mois de novembre, le directeur général de l'AIEA publie en annexe à son rapport trimestriel sur l'Iran au Conseil des gouverneurs un document préparé de longue date, et connu d'un certain nombre d'initiés, sur les activités nucléaires clandestines de l'Iran. Celles-ci, pour l’essentiel, concernent la période des années 1990 et l’AIEA confirme au passage l’analyse des services américains selon laquelle le programme iranien de fabrication de la bombe s’est interrompu fin 2003. Les Iraniens nient tout en bloc mais l’abondance des détails fournis et l’affirmation par l’AIEA que certaines activités utiles à l’obtention d’une bombe pourraient avoir repris ou avoir été poursuivies produisent une nouvelle poussée de fièvre. Nicolas Sarkozy prend alors la tête d’une mobilisation internationale en faveur d’un renforcement des sanctions. Il s’engage en ce sens auprès du Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, puis écrit aux chefs d’État et de gouvernement d’Allemagne, du Canada, des États-Unis, du Japon, du Royaume-Uni, ainsi qu’au président du Conseil européen et au président de la Commission européenne, pour préconiser « des sanctions d’une ampleur sans précédent ». Il propose en particulier le gel des avoirs de la Banque centrale d’Iran et l’interruption des achats de pétrole iranien. Et de fait, début 2012, se mettent en place de nouvelles sanctions américaines et européennes aboutissant à un blocage à peu près général des échanges économiques et financiers avec l’Iran.


Hollande : le choix de la continuité


A noter qu’au même moment, François Hollande mène sa campagne électorale. Il ne s’y exprime guère sur les sujets de politique étrangère, mais fait une exception pour l’Iran. Avant même la lettre de Nicolas Sarkozy aux dirigeants du monde, il affirme en un communiqué : « Nous ne pouvons pas accepter que l’Iran poursuive sa marche vers l’arme nucléaire. C’est là une menace grave pour la région mais aussi pour l’Europe, et pour la communauté internationale toute entière. L'avenir du régime de non-prolifération est en cause. ». Et il revient peu après sur le sujet dans une tribune sur la force française de dissuasion publiée par un hebdomadaire parisien : « C’est parce que la France respecte pleinement ses obligations de puissance nucléaire qu’elle est fondée à combattre sans faiblesse et sans concession ceux qui, dans le monde, ont engagé des programmes dangereux pour sa stabilité. Je ne relâcherai donc en rien les efforts pour résoudre, avec nos partenaires, les crises de prolifération en Iran ou en Corée du Nord. ». À la veille du deuxième tour de l’élection qu’il s’apprête à emporter, il déclare encore au journaliste Jean-Marie Colombani : « Je n’ai pas critiqué la position ferme de Nicolas Sarkozy par rapport aux risques de prolifération nucléaire. Je le confirmerai avec la même force et la même volonté. Et je n’admettrai pas que l’Iran, qui a parfaitement le droit d’accéder au nucléaire civil, puisse utiliser cette technologie à des fins militaires. Les Iraniens doivent apporter toutes les informations qui leur sont demandées et en terminer avec les faux-semblants. Les sanctions doivent être renforcées autant qu’il sera nécessaire. Mais je crois encore possible la négociation pour atteindre le but recherché». Rien d’étonnant donc à ce que quelques mois plus tard, lors d’une visite à Paris, le Directeur général de l’AIEA, Yukiya Amano, sur la question d’un journaliste lui demandant : « l'approche de François Hollande sur l'Iran est-elle différente de celle de Sarkozy ? » réponde : « Dans le fond, je ne vois aucune différence ».


Quelques jours à peine après son élection, François Hollande, présent aux États-Unis pour les sommets successifs du G8 et de l’OTAN, a l’occasion de marquer sa fermeté à l’égard de l’Iran. La radiotélévision iranienne produit en effet la surprise en annonçant le limogeage par le nouveau Président de la République française de Jacques Audibert, Directeur des affaires politiques au Quai d’Orsay, principal négociateur français sur le dossier nucléaire. Les Iraniens, qui le considéraient comme un interlocuteur difficile, ont pris leurs désirs pour des réalités. François Hollande apporte aussitôt un clair démenti à la nouvelle : « oui, il y a une manœuvre et une manipulation…M. Jacques Audibert qui est d'ailleurs présent ici est notre négociateur... je lui fais toute confiance pour avoir la fermeté indispensable dans cette négociation ». Cette confiance sera plus tard confirmée, lorsque Jacques Audibert accèdera en juillet 2014 à la fonction de conseiller diplomatique du Président de la République.


Et puis, le Président trouve un ministre des affaires étrangères spontanément au diapason de sa perception du dossier nucléaire iranien en la personne de Laurent Fabius. Celui-ci promet régulièrement de « durcir les sanctions tant que l’Iran refusera de négocier sérieusement ».Il s’inquiète même que « des éléments nucléaires se retrouvent dans des mains qui ne sont pas des mains iraniennes ». Il déplore que « la position nucléaire de l’Iran reste intangible » en précisant qu’« elle s’inscrit dans le contexte plus général de l'opposition croissante entre les Chiites et les Sunnites ». Il martèle en de nombreuses circonstances : « nous sommes pour la double approche, d’un côté les sanctions, de l’autre la négociation», en accompagnant souvent la formule d’une autre encore plus lapidaire : « oui au nucléaire civil, non à la bombe ». Et il ne cesse de réclamer un accord nucléaire « robuste », façon de marquer sa crainte que les États-Unis, dans leur volonté d’aboutir, ne se satisfassent d’un accord imparfait.


Les Français marginalisés


Mais pendant ce temps-là, les choses bougent sans les Français. Dès juillet 2012, grâce à l’entremise du Sultan d’Oman, des contacts secrets se nouent entre Iraniens et Américains. Ils prennent de la substance après l’élection en juin 2013 à la présidence de la République d’Hassan Rouhani, qui s’est fermement positionné durant sa campagne en faveur d’une solution négociée de la crise nucléaire. Entre temps, au début de l’année, John Kerry, lui aussi désireux de sortir de cette longue crise, a remplacé à la tête du Secrétariat d’État américain Hillary Clinton, beaucoup plus réservée à l’égard de l’Iran. Il fait à un moment ou un autre passer le message que les États-Unis sont prêts à évoluer en reconnaissant au moins de fait la légitimité du programme nucléaire iranien et en renonçant à demander la suspension de ses activités d’enrichissement, exigence qui bloquait depuis sept ans toute possibilité de parvenir à un accord. A partir de là, tout s’accélère, notamment à l’occasion de la venue à New-York du nouveau président iranien pour participer à l’Assemblée générale des Nations Unies. Rouhani ne rencontre pas Obama, ce qui serait prématuré, mais échange avec lui quelques propos en un coup de téléphone aussitôt qualifié d’historique. François Hollande est en revanche le premier dirigeant occidental qu’il rencontre, mais la conversation ne débouche sur aucune avancée quant aux questions de fond.


A la mi-octobre, la négociation nucléaire reprend à Genève entre l’Iran et le groupe dit P5+1, réunissant les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, Chine, États-Unis, France, Grande-Bretagne et Russie, plus l’Allemagne. De fait, les États-Unis ont déjà fait en coulisse l’essentiel du travail et présentent à leurs partenaires, début novembre, un premier projet d’accord définissant tous les paramètres de la négociation devant conduire à un règlement complet et définitif de la question nucléaire. Le document contient des mesures de confiance réciproques : desserrement du régime de sanctions, ralentissement du programme iranien, ainsi que les grandes lignes du but à atteindre. Les négociateurs français, conduits par Jacques Audibert, découvrent le texte et alertent leur ministre sur les failles qu’ils y repèrent. John Kerry, pour sa part, se dirige vers Genève pour y formaliser l’accord qu’il considère comme acquis, mais Laurent Fabius le prend de vitesse et, débarquant avant lui, déclare tout de go qu’il n’est pas question pour les Français de se rallier à « un accord de dupes ». Ce propos à l’emporte-pièce fait aussitôt le tour du monde. Il sème la fureur chez les Américains, la consternation chez les autres négociateurs… et la jubilation aux États-Unis comme au Moyen-Orient chez tous les opposants à la politique d’Obama. À Genève, le texte est remis à l’ouvrage, mais les Iraniens, considérant la première version comme acquise, refusent de bouger. Il faut se séparer sans conclure.


La négociation reprend un peu plus tard, une fois l’émotion retombée. Il apparaît que les points soulevés par les Français sont en fait d’une importance relative et ne modifient pas l’équilibre du projet. Un accord est finalement atteint le 24 novembre, mais l’incident créé par le ministre français des affaires étrangères laisse des traces tout au long de la négociation finale qui va s’étendre sur à peu près 18 mois pour aboutir le 14 juillet 2015 à l’accord dit Joint Comprehensive Plan of Action (Plan global et commun d’action). Les Américains, en particulier, se font plus attentifs à informer leurs partenaires des progrès de leurs discussions avec les Iraniens. Aucun nouvel accroc au sein du groupe P5+1 ne marque cette ultime période, même si les Français lâchent de temps en temps des commentaires plutôt acides destinés à bien marquer leur vigilance. Leur réputation de Bad Cops de la négociation est désormais établie, notamment auprès des Monarchies de la Péninsule arabique qui s’inquiètent de tout ce qui pourrait venir renforcer la main des Iraniens. François Hollande y est fêté comme un héros, façon de faire comprendre à Obama qu’il devrait mieux tenir compte des positions de ses amis. Hollande est ainsi le premier dirigeant occidental à être invité à un sommet du Conseil de coopération du Golfe, en mai 2015, à Riyad.


Fin juillet, alors que l’administration américaine, Obama et Kerry en tête, déploie tous ses efforts pour convaincre son opinion, et en particulier le Congrès, de l’excellence de l’accord qu’elle vient d’obtenir, un coup de projecteur tombe encore sur les Français. Et plus précisément sur le conseiller du Président, Jacques Audibert, qui lors d’un entretien avec deux parlementaires américains de passage à Paris, laisse entendre que si l’accord n’entrait pas en vigueur, ce ne serait pas la fin du monde : après une ou deux années de querelles, les Iraniens reviendraient à la table de négociation et pourraient s’y présenter encore mieux disposés. Cette analyse va directement à l’encontre de l’argumentation des dirigeants américains, qui répètent que l’accord atteint est le meilleur des accords possibles et que sa non-application créerait une crise aux conséquences incalculables. L’affaire n’aura pas de suite, mais conforte encore les partisans de l’accord, aux États-Unis et ailleurs, dans l’idée que les Français, décidément, n’ont jamais été de chauds partisans d’un compromis permettant à l’Iran de sortir la tête haute de la crise nucléaire. Dans le même sens, il est à noter que début 2015, les meilleurs experts stratégiques français gravitant autour du Quai d’Orsay exprimaient ouvertement leur scepticisme sur la possibilité de parvenir à un accord avec l’Iran dans le courant de l’année. Et l’accord une fois conclu, leurs prises de position en sa faveur sont rares et plus que modérées.


Bilan et perspectives


Comment évaluer, en conclusion, le rôle des Français en cette affaire ? Il se divise clairement en deux époques, dont la césure coïncide avec la succession à la Présidence de la République de Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy. Dans la première, les Français lancent la négociation et cherchent activement une sortie de crise, mais l’administration de George W.Bush veille à empêcher tout progrès. Le groupe de hauts fonctionnaires, fins praticiens des questions stratégiques et des négociations multilatérales, qui a tenu le dossier tout au long de la période, a plutôt été bridé par le pouvoir politique durant cette première époque. Dans la seconde, il a pu au contraire faire valoir sans entraves sa vision des choses. Les Français sont alors apparus en défenseurs minutieux, parfois revêches, des intérêts de la lutte contre la prolifération. Pour un pays qui avait été l’un des derniers à rejoindre le Traité de non-prolifération, en 1992, soit 24 ans après son ouverture à la signature, c’était une belle façon de démontrer son adhésion désormais sans faille à l’un des principaux piliers de la sécurité internationale. Mais en s’attachant aux règles et aux principes, plutôt qu’à leur traduction dans une situation donnée, ce qui est après tout l’une des fonctions de la diplomatie, les Français ont fini par s’interdire de jouer en cette affaire un rôle qui était à portée de la France, celui du facilitateur œuvrant à rapprocher les parties. Dès lors, ils n’ont plus pu peser sur le cours d’une négociation prise en main par l’administration de Barack Obama avec une autorité croissante et la volonté pragmatique d’aboutir. Devenus inutiles, donc marginalisés, il leur est resté au final pour seule récompense la satisfaction un peu morose d’avoir été face au monde les vestales du temple de la non-prolifération.


Quelle conséquence de cette attitude sur la relation franco-iranienne et sur la position des Français dans la zone du Golfe persique ? Du côté iranien, si, comme on peut l’espérer, l’accord du 14 juillet dernier est appliqué sans crise majeure par toutes les parties, il est vraisemblable que l’on ne tiendra pas rigueur aux Français de leur comportement durant la dernière période des négociations. Cette page est à présent tournée, l’important pour l’Iran est d’obtenir avec la levée des sanctions la relance de son économie et son ouverture sur le monde. Pour les Iraniens, la France a clairement un rôle à jouer dans cette nouvelle phase. À cet égard, la visite réussie de Laurent Fabius à Téhéran dès la fin juillet, l’invitation du Président Rouhani à Paris, l’empressement manifesté par les entreprises françaises pour renouer avec l’Iran et l’accueil positif qui leur a été réservé sont de bon augure. Il convient de rappeler ici qu’en 1988, à la fin de la guerre Irak-Iran, alors que les relations entre Téhéran et Paris étaient infiniment plus dégradées que dans la période récente, la volonté commune de passer l’éponge avait permis de relancer sans difficulté les relations entre les deux pays.


Enfin, pour peu que l’on y prenne garde, la restauration de la relation franco-iranienne ne devrait pas entraîner de détérioration de la relation avec les royaumes de la Péninsule arabique. Quoi que l’on puisse penser du comportement de l’Arabie saoudite, accessoirement du Qatar et des Émirats arabes unis, dans les crises irakienne, yéménite et surtout syrienne, ces pays restent incontournables pour rétablir la paix dans la région. Rien ne s’y construira de positif et de durable sans un minimum de détente et de coopération entre eux et l’Iran. Il y a là un rôle à jouer pour la France, un rôle conforme à sa vocation, celui du pays qui parle avec tout le monde, toujours à la recherche de solutions.

(paru dans le N° 96 de la revue Confluences Méditerranée, hiver 2015-2016)