publié le 19 mai dans
Un ambassadeur pris dans la tourmente de la révolution
tunisienne, voilà l’histoire que nous conte Pierre Ménat, à la tête de notre
représentation diplomatique dans ce pays de 2009 à 2011. Le haletant récit des
quelques semaines, entre décembre 2010 et janvier 2011, où tout a basculé en
Tunisie, avec l’épilogue du départ de l’ambassadeur de France en février, est
un morceau d’anthologie à lire par ceux qui s’intéressent à l’histoire de cette
crise et tout simplement à la diplomatie. Pierre Ménat aurait pu à cette
occasion régler ses comptes avec les observateurs qui l’ont accablé, comme avec
les responsables qui ont détourné vers lui, et vers les diplomates en général,
les coups qui les visaient. Rien de tel dans ces pages, au contraire une
retenue sans défaut, avec le souci de comprendre, et souvent d’excuser. Au
lecteur, donc, le soin d’élaborer son propre jugement sur les faiblesses des
uns et des autres, mais aussi sur la bonne tenue de plusieurs, qui apparaissent
par petites touches dans les portraits en situation tracés par l’auteur.
Un point est clair en tous cas. Le reproche d’aveuglement
fait à Pierre Ménat n’a pu être lancé qu’en tronquant ses commentaires sur le
dernier discours du dictateur au pouvoir. On se souvient d’un article du Monde
avançant ce reproche sur la base d’extraits d’un télégramme rédigé aussitôt
après l’allocution de Ben Ali prononcée le 13 janvier 2011, la veille de sa
fuite. Ce dernier, avançant qu’on l’avait « trompé », annonçait alors
la dissolution du Parlement, la tenue d’élections libres, et son intention de
ne pas se représenter en 2014. L’Ambassadeur écrivait, non sans bon sens, que
le Président avait « sans doute joué sa dernière carte ». Il
poursuivait en disant : « si cette allocution ne produit pas les
effets escomptés, on ne voit plus quelle ressource resterait au Président Ben
Ali » et concluait ainsi son développement : « le discours de ce
soir laisse espérer une sortie de crise. Mais il faut encore qu’il y ait
jonction entre la parole du Chef de l’État et la perception qu’en a un peuple
très en colère ». Ce n’était donc pas si mal vu.
Sur cette période, plane en outre le reproche lancé à
l’Ambassadeur de France de ne s’être pas intéressé à l’opposition tunisienne
quand elle était isolée ou persécutée. Sur ce point, Pierre Ménat apporte nombre
d’éléments factuels – prises de contact, démarches…- faisant pièce à ce
jugement. Mais il est vrai qu’il n’était pas simple dans la Tunisie de Ben Ali
de nouer des relations suivies avec des membres de l’opposition. Qui a servi auprès
de régimes autoritaires peut témoigner de la complexité de ce genre de
situation. Les opposants sous surveillance y craignent en effet, à juste
raison, de se voir accusés de servir une puissance étrangère, pire encore s’il
s’agit d’une ancienne puissance coloniale.
Quant à l’analyse de la situation politique et sociale, Pierre
Ménat, comme d’ailleurs les diplomates français qui suivaient alors les
affaires tunisiennes, percevait et rapportait comme il se devait les tares et
les fragilités du régime. Mais ces analyses n’intéressaient que faiblement à
niveau politique, où la dictature tunisienne menait un travail intense de
relations publiques. Notre Président de la République ne se vantait-il pas alors
d’en savoir plus sur la Tunisie par la femme d’un de ses ministres que par tous
ses diplomates ? Les archives, lorsqu’elles s’ouvriront, rendront justice
à un personnel décrié.
Avant d’en arriver à la période dramatique qui culmine dans
la dernière partie de son livre, Pierre Ménat rapporte, pour notre plus grand
intérêt, quelques épisodes éclairants sur des difficultés du métier d’ambassadeur,
notamment lorsqu’il se trouve pris en ciseaux entre les lignes divergentes du
ministre de l’époque, Bernard Kouchner, et de la cellule diplomatique de l’Élysée.
Il signale en passant qu’il n’a été reçu par le Chef de l’État qui l’avait
pourtant nommé à Tunis ni avant son départ, ni durant sa mission, ni après son
retour. C’est alors qu’il livre un sentiment sans doute partagé par d’autres
ambassadeurs à tel ou tel moment de leur carrière : « ne disposant ni de
la durée, ni d’une absolue confiance, je devais agir comme à tâtons. »
Pierre Ménat consacre enfin une importante partie de son
ouvrage au quotidien de son ambassade dans ses différentes dimensions :
politique, culturelle, économique et de coopération. Le récit s’assortit de
nombreuses mises en perspective sur les expériences antérieures de l’auteur au
cœur des affaires européennes, soit au Quai d’Orsay soit auprès du Président Chirac,
ou encore à la tête des ambassades de France en Roumanie et en Pologne. Au
total, l’ouvrage offre à ceux qui s’intéressent aux relations internationales un
témoignage exceptionnel, ouvrant l’accès au vécu du métier d’ambassadeur, avec
ses défis, ses risques, ses servitudes côtoyant sans cesse ses meilleurs
moments.
Pierre Ménat « Un ambassadeur dans la révolution
tunisienne », L’Harmattan éd.,Paris 2015, 23 €
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire