(paru ce jour dans liberation.fr)
Forme et fond, la déclaration de Donald
Trump annonçant la sortie des États-Unis de l’accord nucléaire passé en 2015 à
Vienne entre six puissances et l’Iran est d’une extraordinaire brutalité.
Aucune concession, aucun délai, c’est un couperet. Ce genre de comportement semblait
l’apanage des chefs de régime autoritaire. Elle fera tache dans la politique
étrangère américaine.
Un détail : les dirigeants du monde,
quand ils s’en prennent à l’Iran, prennent soin de distinguer entre la
détestable République islamique et le grand peuple iranien, pétri d’histoire et
de culture, assoiffé de liberté. Donald Trump n’y a pas manqué. Il y avait un
côté obscène à déclarer son amour aux Iraniens au moment de leur infliger une telle
punition collective.
L’Europe et les sanctions
Voilà rétablie la totalité des sanctions
américaines levées par l’accord de juillet 2015. Donald Trump a pris soin de
préciser qu’elles s’appliqueraient à nouveau dans leur dimension secondaire. Sauf
rares exceptions, les sociétés étrangères qui s’aviseront d’entrer en affaires avec
l’Iran seront donc punies. Quant aux contrats en cours, elles ont, selon les
cas, trois ou six mois pour les démonter. L’Europe va de nouveau se voir
interdire d’acheter du pétrole iranien, et ses grandes sociétés pétrolières ne
pourront plus travailler en Iran. Plus question non plus de contrats entre Airbus,
Boeing et les compagnies iraniennes dont les avions sont à bout de souffle.
Peugeot, Renault, qui venaient de retourner en Iran, vont se trouver en grande
difficulté. Ils avaient déjà été affectés par une décision américaine de 2013 les
empêchant de travailler en Iran, qui avait détruit plusieurs milliers d’emplois
en France. Assez lâchement, le gouvernement français de l’époque n’avait pas bougé.
Sera-t-il cette fois plus courageux ?
La question de la capacité de l’Europe à
se défendre est ainsi posée. Elle était parvenue, dans les années 1990, à faire
céder Washington, qui voulait interdire tout investissement en Iran dans le
domaine pétrolier et gazier. Ceci avait en particulier permis à Total de mener,
avec un succès complet, son plus grand chantier au monde en bordure du Golfe
persique. Maintenant, tout sera plus compliqué. La mondialisation a fait des
progrès. Les États-Unis ont pris conscience, au début des années 2000, de la
toute-puissance que leur confère l’usage du dollar dans les transactions
internationales. Même si l’Europe met en place un bouclier de protection pour
ses entreprises, beaucoup hésiteront à défier les États-Unis, dès lors qu’elles
y ont des intérêts. Ce sera le cas des grandes banques européennes, sans
lesquelles il sera difficile de faire de grandes affaires en Iran.
Faire céder l’Iran ?
Face aux États-Unis, la première réaction
de l’Iran a été remarquablement mature. Pour le Président Rouhani qui s'est investi
dans le dossier nucléaire dès 2003, la décision de Donald Trump est pourtant un
crève-cœur. L’accord de 2015 était le grand succès de son premier mandat. Avant
le 8 mai, des voix s’étaient élevés en Iran pour annoncer des mesures de
rétorsion qui feraient regretter à Washington une décision de sortie de
l’accord. A ce stade, Rouhani a simplement lancé des consultations avec les cinq partenaires restants en vue de le préserver.
Certes, l’Iran n’a aucun intérêt en cette affaire à une escalade avec plus fort
que lui. Il ne pourra résister qu’au sein d’un collectif. Mais les plus
radicaux du régime ne manqueront pas de tenter de tirer profit de tout signe de
faiblesse. Le gouvernement de Rouhani va se trouver gravement fragilisé.
C’est ce sur quoi parie Donald Trump. Avec
son entourage, il a la conviction que l’accord de Vienne a été négocié et
conclu trop tôt, avant que les sanctions américaines et européennes ne produisent
leur plein effet. Il se dit qu’en deux ou trois ans, il pourra, cette fois-ci,
mettre l’Iran à genoux, et entraîner soit l’effondrement du régime, soit son
entière soumission. C’est un pari risqué. Obama, lui, avait atteint la
conclusion que les sanctions, si punitives soient-elles, ne parvenaient pas à
arrêter la progression du programme nucléaire iranien.
L’on peut s’inquiéter que les trois pays
européens ayant le plus investi en cette affaire – l’Allemagne, la France,
le Royaume-Uni – donnent dans leur première réaction le sentiment d’entrer
dans le calcul de Trump. En effet, tout en rappelant leur attachement à
l’Accord de Vienne, ils affirment vouloir « définir un cadre de long terme
pour le programme nucléaire de l’Iran » et « traiter de façon
rigoureuse les préoccupations largement partagées liées au programme balistique
de l’Iran et à ses activités régionales déstabilisatrices ». En soi, ces
objectifs sont légitimes. Mais en parler ainsi, à ce moment, c’est signaler que
les trois pays ne répugneraient pas à obtenir des concessions de Téhéran dans
le sillage des sanctions américaines. C’est se proposer de jouer au good cop
contre bad cop. C’est aussi prendre le risque d’avoir à se battre sur
deux fronts : desserrer au bénéfice des entreprises européennes et de
leurs clients l’étau des sanctions américaines, en user comme levier pour faire
plier l’Iran. Bon courage !
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