Les six jours de
manifestations et d’émeutes sporadiques qui viennent de se dérouler en Iran
démontrent la persistance dans la population d’une souffrance diffuse et
profonde, alimentée par le chômage, la pauvreté, l’absence de perspectives
économiques et politiques, alors que prospère d’autre part une richesse
insolente, soutenue par l’État, alimentée par la corruption.
« Occupez-vous de
nous », crient les manifestants « plutôt que de vous occuper de la
Syrie, du Yémen, du Liban, des Palestiniens ». Il s’agit donc d’un appel
au secours, mêlée à la colère qui ose s’exprimer contre le gouvernement, et
même contre le Guide suprême. Mais pas de figures de proue, pas de ligne
directrice. L’on peut parier que la plupart des gens qui défilent n’ont jamais
voté, ou, s’ils ont voté, le faisaient pour ne pas se faire remarquer. À noter
que le Mouvement réformateur, qui aurait pu les soutenir, ou au moins leur
marquer un peu de sympathie, n’a fait aucun geste en ce sens.
Entre France et Iran,
petit air de famille ?
Mutatis mutandis, cette
désespérance n’est pas sans évoquer celle de nos banlieues, de nos quartiers,
alimentée par des phénomènes un peu comparables. Les images dramatiques des
incendies et des destructions de 2005 avaient donné au monde extérieur le
sentiment que notre République vacillait sur ses bases. Il n’en était
évidemment rien. La République islamique n’a pas été plus ébranlée par ce qui
vient de se passer, décevant tous ceux qui guettent avec constance les signes
de son effondrement.
Une des grandes différences
du mouvement avec nos propres troubles c’est qu’il a généré une vingtaine de
morts. C’était d’emblée faire apparaître la férocité du régime, qui n’a jamais
lésiné pour garantir sa sécurité. Et faire apparaître aussi l’écart qui le sépare
d’un État de droit. Encore n’a-t-il pas eu besoin de faire monter en ligne ses
Basidji et ses Pasdaran. C’est dire la disproportion des forces en présence,
qui condamnait les manifestations à l’échec, dès lors qu’après leur première
diffusion à travers le pays, elles ne parvenaient pas à monter en puissance
au-delà d’une ou quelques dizaines de milliers de participants, au mieux, pour
l’ensemble de l’Iran.
Dans de telles
circonstances, les tweets de Donald Trump ont atteint le grotesque et ont aidé
le régime à dénoncer, comme il se plaît tant à le faire, la main de l’étranger.
Ils ont donc nui au mouvement. La réaction mesurée des Européens a été plus
adaptée. Mieux valait en effet, pour la protection même des protestataires,
éviter de prendre des positions avantageuses devant leur propre opinion mais qui
ne feraient qu’attiser les braises. Comme vient de l’écrire le chercheur et
activiste irano-américain Reza Marashi : « les problèmes sont
iraniens, les manifestants sont iraniens, et la solution sera iranienne ».
Et maintenant,
l’avenir
Quid de la suite ? À
l’heure qu’il est, la position du Président Rouhani n’est pas enviable. Ses
marges de manœuvre sont limitées. Il est pris dans l’étau du mécontentement
populaire, d’une part, et d’autre part de la surveillance tatillonne du cœur conservateur
du régime, qui ne fait rien pour l’aider. Malgré des efforts louables et
quelques succès, il ne parvient pas à faire émerger la prospérité que la
conclusion de l’accord nucléaire laissait espérer, en raison du sabotage de son
application par l’administration de Donald Trump. Il est enfin confronté au
chantier gigantesque de la rénovation d’un système économique sclérosé, atteint
par la corruption, plombé par les ardoises laissées par Ahmadinejad. Certes, il
va faire quelques gestes, en matière de subventions, de distribution de
produits de première nécessité. Il a prononcé des paroles de compréhension et
d’apaisement. Mais rien à l’horizon qui modifie la donne. L’on peut donc se
préparer à l’idée que dans quelques mois, un an ou deux peut-être, les mêmes
causes produiront à peu près les mêmes effets.
Un mot pour ceux qui
guettent comme l’aurore la chute du régime. La société iranienne se détache peu
à peu, de façon irréversible, des fondements de cette République islamique. Elle
n’est cependant pas prête à ce jour à se lancer dans un nouveau cycle
révolutionnaire. Celui qu’elle a vécu il y a bientôt quarante ans lui a trop
coûté. Mais que le régime n’en retire pas un sentiment de sécurité. S’il ne
parvient pas à évoluer, à profondément se réformer, il finira en implosant sous
le poids de ses propres blocages, dissensions et contradictions, un peu comme
l’Union soviétique ou encore le régime de Franco. À cet égard, le choix du
prochain Guide de la Révolution, qui devrait intervenir d’ici à quelques années
– Ali Khamenei, né en 1939, a aujourd’hui 78 ans – pourrait jouer un rôle
décisif.
paru le 5 janvier 2018 sur le site
paru le 5 janvier 2018 sur le site
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