La République islamique d’Iran s’est réveillée il y a quelques semaines
dans une ambiance toute nouvelle pour elle. Dissipée, la jubilation générée par
le succès spectaculaire des frappes à la mi-septembre sur des installations
pétrolières saoudiennes. Évanoui, le plaisir à savourer l’expansion au fil des ans de
l’influence iranienne du Yémen à la Méditerranée. Ses amis du Hezbollah ont brusquement
perdu aux yeux des Libanais en colère leur prestige de combattants de la
Résistance pour n’être plus qu’un élément d’un système politique inefficace et
corrompu. En Irak, les jeunes patriotes se font tuer pour obtenir une
démocratie libérée des jeux de factions, la fin des détournements massifs de la
richesse nationale, et aussi la levée de la mainmise iranienne sur leur vie
politique. En Iran même, les gens, excédés de leurs difficultés quotidiennes
croissantes, sont descendus dans la rue pour mettre en cause le régime,
entraînant de sa part une répression féroce.
Et dans sa relation avec le monde extérieur sur le dossier hautement
sensible du nucléaire, les choses ne vont guère mieux pour la République
islamique. Sa stratégie d’infractions calculées à l’accord nucléaire de Vienne
-- dit aussi JCPOA --, lancée l’été dernier, était censée pousser les
Européens à desserrer l’étau des sanctions américaines. Mais leur seule
réaction a été de menacer l’Iran de déclencher le processus de règlement des
différends prévu par le JCPOA. Or ce processus aurait toutes les chances de
déboucher sur le rétablissement des sanctions des Nations unies : sanctions
mises en place entre 2006 et 2010 pour faire céder l’Iran, et levées en juillet
2015 dans le sillage de la conclusion de l’accord de Vienne. Les efforts des
Français pour entraîner au moins une légère détente entre Américains et
Iraniens semblent s’être enlisés. Donald Trump, dont les électeurs détestent
l’Iran mais refusent l’idée d’une nouvelle guerre dans une région lointaine, n’a
que l’arme des sanctions pour les satisfaire. Il n’est pas prêt à l’abandonner.
De tous côtés, l’Iran se trouve coincé.
Bénéfices et risques d’une sortie de l’accord de Vienne
Une échappatoire lui reste ouverte. Mais elle débouche sur de graves
inconnues. Ce serait de se retirer du jour au lendemain de l’accord de Vienne,
comme l’a fait Donald Trump en mai 2018. S’il agissait avant le déclenchement
du dispositif de règlement des différends contenu dans le JCPOA, il en
récolterait un bénéfice immédiat, celui d’échapper à la redoutable procédure
simplifiée de rétablissement des sanctions des Nations unies. Selon ce mécanisme
exceptionnel, inventé pour l’occasion, la voix d’un seul membre permanent du
Conseil de sécurité suffit pour punir le pays récalcitrant partie à l’Accord.
Mais pour fonctionner, encore faut-il que ce pays soit toujours là. Une fois
l’Iran sorti du JCPOA, plus d’engagements de sa part, et donc plus de violation
d’engagement offrant prise à rétablissement immédiat des sanctions. Quand
Trump, d’ailleurs, est sorti de l’Accord, chacun a bien dû admettre que les États-Unis
étaient aussitôt libérés des engagements qu’ils y avaient contractés. Le même
raisonnement vaut pour l’Iran.
Mais pour ce bénéfice, que de risques ! Le premier serait de voir
le Conseil de sécurité mettre en œuvre sa procédure habituelle d’imposition de
sanctions. Elle est toutefois beaucoup plus lourde que celle qui avait été taillée
sur mesure pour le JCPOA, puisqu’il faudrait, cette fois-ci, qu’aucun des cinq
membres permanents du Conseil ne s’y oppose. Or l’Iran pourrait espérer la protection
de la Russie ou la Chine, traditionnellement plus indulgentes à son égard que
les États-Unis,
la France ou le Royaume-Uni. Le second risque serait de voir les Européens
rejoindre les États-Unis pour punir l’Iran avec des sanctions proprement
européennes, comme ils l’avaient fait dans la période 2010-2012. Mais plus
sérieux encore, une fois l’Iran sorti du JCPOA, toute avancée de son programme
nucléaire, en principe civil, pourrait être aisément présentée comme une nouvelle
course à l’arme atomique, avec le risque de voir les États-Unis, peut-être Israël,
d’autres encore, peut-être même certains Européens, considérer le moment venu
de détruire du ciel les installations nucléaires iraniennes, et sans doute plus
encore.
Les éléments d’une nouvelle donne
l’Iran pourrait néanmoins neutraliser tous ces risques par une simple
déclaration affirmant son intention de respecter, désormais sur une base
purement unilatérale et volontaire, les engagements auparavant souscrits dans
le cadre de l’accord de Vienne : notamment limitation de ses activités
d’enrichissement et, bien entendu, maintien des contrôles renforcés de l’Agence
internationale de l’énergie atomique.
L’on entrerait alors dans une période peut-être plus favorable à la
négociation et au dialogue que la période actuelle,
dont les vertus semblent s'être épuisées. L’Iran gagnerait en liberté de
manœuvre avec la faculté de jouer sur l’évolution, à la baisse ou à la hausse,
de ses engagements volontaires, en fonction de l’attitude des autres parties. Les
Européens échapperaient enfin aux sarcasmes de l’Iran visant leur impuissance à
résister aux sanctions américaines. Ils échapperaient aussi aux reproches de
Washington sur leur absence de solidarité avec l’Amérique. N’étant plus, les
uns dans l’Accord, les autres dehors, il serait plus aisé aux Européens de se
rapprocher de l’administration américaine, voire de présenter avec elle un
front commun. Et Donald Trump, qui a toujours expliqué qu’on ne pourrait
négocier utilement avec l’Iran qu’après le démantèlement du JCPOA, verrait
enfin son vœu exaucé. En somme, du mal pourrait sortir le bien, ou du moins un
espoir de bien. Et surtout, avec la perspective d’un allègement des sanctions,
un peu de bien pour la population iranienne, qui en a bien besoin.
article publié le 11 décembre 2019 sur le site
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