(paru dans le n°48 de la revue Après-demain, décembre 2018)
L’empire ottoman, l’un des plus puissants et des plus durables de
l’Histoire, a pris son essor sur le territoire de l’actuelle Turquie au XIVème
siècle. Il conquiert Constantinople en 1453, s’étend d’une part dans les
Balkans, d’autre part vers l’Egypte et le monde arabe, pousse jusqu’en Hongrie et
parvient à trois reprises aux portes de Vienne. Un long déclin s’amorce au
XVIIIème siècle et se poursuit au XIXème siècle malgré un grand effort de
réformes. La guerre de 1914-1918 lui est fatale. Dépecé, réduit à la surface de
l’Anatolie, il est aboli en 1923 par Atatürk, le fondateur de la République.
Cet empire laisse derrière lui le souvenir de grands massacres infligés
à ses minorités, Grecs au début du XIXème siècle, plus tard Serbes, Bulgares,
Arméniens, massacres culminant avec le génocide arménien au cours de la
Première guerre mondiale (plus d’un million de morts), dont la réalité, malgré
le déni persistant de la Turquie d’aujourd’hui, vient d’être confirmée par les
dernières recherches historiques. Il laisse aussi la trace de nombreux
massacres de moindre ampleur, souvent à l’initiative de gouverneurs locaux,
luttant contre des révoltes ponctuelles ou encore des hérésies au sein de
l’Islam. Il laisse enfin le souvenir de pratiques d’esclavage, ou encore de
rafles systématiques d’enfants chrétiens pour alimenter le corps militaire
d’élite des Janissaires.
Mais ceci ne doit pas masquer une autre réalité, celle d’un empire
multiculturel, ayant sur de longues périodes appliqué une politique de
tolérance très en avance sur ce qui se voyait alors en Europe. Au XVème siècle,
Mehmet II, le conquérant de Constantinople, organise les minorités de l’empire
en trois communautés protégées, grecque-orthodoxe, juive et arménienne, leur
reconnaît la liberté de culte et leur ouvre l’accès aux charges publiques. L’empire
accueille généreusement à la fin du XVème siècle plusieurs vagues de Juifs
chassés de différents coins d’Europe, d’Espagne, du Portugal, d’Italie, de
Sicile. Au milieu du XIXème siècle, il recueille plusieurs centaines de
milliers de Circassiens chassés de l’empire russe.
Les libertés accordées aux minorités seront confirmées dans la période
de réformes, dite des Tanzimat, au XIXème siècle. Les communautés
religieuses, ou millet, dont le nombre a été élargi, disposent de l’autonomie
d’administration, et de tribunaux propres pour l’application de statuts
personnels. Ceci en échange d’une loyauté sans faille exigée à l’égard du
Sultan. Les Grecs, les Arméniens forment alors l’ossature de l’administration
et de la diplomatie de l’empire.
Ces équilibres sont mis à mal par le réveil des nationalités au début
du XIXème siècle. La guerre d’indépendance grecque s’ouvre par le massacre des
familles musulmanes du Péloponnèse. En Bulgarie, en Macédoine, parmi les
Arméniens, jusque dans Istanbul, des mouvements recourent à la violence armée,
parfois aveugle, pour exprimer leurs revendications. Pendant la Première guerre
mondiale, les Alliés encouragent les Arméniens à la révolte, les faisant apparaître
comme des ennemis de l’intérieur aux yeux d’une armée ottomane alors en
difficulté.
Et puis, au début du XXème siècle, la ferveur nationale a gagné les
Turcs acquis aux idées européennes, et pris par le sentiment que leur identité
s’est diluée dans un empire multiethnique et multiculturel. Après la défaite de
1918, ils s’insurgent contre le traité de paix léonin des puissances
victorieuses, reprennent le combat, restaurent l’intégrité du berceau de
l’empire, c’est-à-dire l’Anatolie. 500.000 Turcs y sont rapatriés, 1.500.000
Grecs en sont expulsés. Ce qui reste de l’empire ottoman ne contient
pratiquement plus de minorités. La République turque peut être proclamée.
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