mardi 1 janvier 2019

L'EMPIRE OTTOMAN ET SES MINORITÉS


(paru dans le n°48 de la revue Après-demain, décembre 2018)

L’empire ottoman, l’un des plus puissants et des plus durables de l’Histoire, a pris son essor sur le territoire de l’actuelle Turquie au XIVème siècle. Il conquiert Constantinople en 1453, s’étend d’une part dans les Balkans, d’autre part vers l’Egypte et le monde arabe, pousse jusqu’en Hongrie et parvient à trois reprises aux portes de Vienne. Un long déclin s’amorce au XVIIIème siècle et se poursuit au XIXème siècle malgré un grand effort de réformes. La guerre de 1914-1918 lui est fatale. Dépecé, réduit à la surface de l’Anatolie, il est aboli en 1923 par Atatürk, le fondateur de la République.

Cet empire laisse derrière lui le souvenir de grands massacres infligés à ses minorités, Grecs au début du XIXème siècle, plus tard Serbes, Bulgares, Arméniens, massacres culminant avec le génocide arménien au cours de la Première guerre mondiale (plus d’un million de morts), dont la réalité, malgré le déni persistant de la Turquie d’aujourd’hui, vient d’être confirmée par les dernières recherches historiques. Il laisse aussi la trace de nombreux massacres de moindre ampleur, souvent à l’initiative de gouverneurs locaux, luttant contre des révoltes ponctuelles ou encore des hérésies au sein de l’Islam. Il laisse enfin le souvenir de pratiques d’esclavage, ou encore de rafles systématiques d’enfants chrétiens pour alimenter le corps militaire d’élite des Janissaires.

Mais ceci ne doit pas masquer une autre réalité, celle d’un empire multiculturel, ayant sur de longues périodes appliqué une politique de tolérance très en avance sur ce qui se voyait alors en Europe. Au XVème siècle, Mehmet II, le conquérant de Constantinople, organise les minorités de l’empire en trois communautés protégées, grecque-orthodoxe, juive et arménienne, leur reconnaît la liberté de culte et leur ouvre l’accès aux charges publiques. L’empire accueille généreusement à la fin du XVème siècle plusieurs vagues de Juifs chassés de différents coins d’Europe, d’Espagne, du Portugal, d’Italie, de Sicile. Au milieu du XIXème siècle, il recueille plusieurs centaines de milliers de Circassiens chassés de l’empire russe.

Les libertés accordées aux minorités seront confirmées dans la période de réformes, dite des Tanzimat, au XIXème siècle. Les communautés religieuses, ou millet, dont le nombre a été élargi, disposent de l’autonomie d’administration, et de tribunaux propres pour l’application de statuts personnels. Ceci en échange d’une loyauté sans faille exigée à l’égard du Sultan. Les Grecs, les Arméniens forment alors l’ossature de l’administration et de la diplomatie de l’empire.

Ces équilibres sont mis à mal par le réveil des nationalités au début du XIXème siècle. La guerre d’indépendance grecque s’ouvre par le massacre des familles musulmanes du Péloponnèse. En Bulgarie, en Macédoine, parmi les Arméniens, jusque dans Istanbul, des mouvements recourent à la violence armée, parfois aveugle, pour exprimer leurs revendications. Pendant la Première guerre mondiale, les Alliés encouragent les Arméniens à la révolte, les faisant apparaître comme des ennemis de l’intérieur aux yeux d’une armée ottomane alors en difficulté.

Et puis, au début du XXème siècle, la ferveur nationale a gagné les Turcs acquis aux idées européennes, et pris par le sentiment que leur identité s’est diluée dans un empire multiethnique et multiculturel. Après la défaite de 1918, ils s’insurgent contre le traité de paix léonin des puissances victorieuses, reprennent le combat, restaurent l’intégrité du berceau de l’empire, c’est-à-dire l’Anatolie. 500.000 Turcs y sont rapatriés, 1.500.000 Grecs en sont expulsés. Ce qui reste de l’empire ottoman ne contient pratiquement plus de minorités. La République turque peut être proclamée.

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