La décision de Donald Trump de sortir son
pays de l’accord nucléaire avec l’Iran est tombée avec une brutalité qui a pris
les Européens de court. Certes, depuis quelques jours, il ne se faisaient plus
guère d’illusions. Mais ils espéraient encore un délai de grâce qui leur
permettrait d’obtenir quelques gestes de l’Iran, ou des sanctions allégées en
remerciement de leurs efforts :« encore une minute, Monsieur le
bourreau » … Mais le couperet est tombé. Les sanctions américaines suspendues
par l’accord 14 juillet 2015 sont rétablies dans tous leurs effets. Ceux qui
sont déjà en affaires avec l’Iran ont, selon les cas, trois ou six mois pour
s’en dégager. Déjà, les Américains ne pouvaient pas commercer avec l’Iran, sauf
exceptions. C’est maintenant tout le monde qui se voit interdit d’acheter, de
vendre, ou d’investir en Iran. Or l’Allemagne a plus d’une centaine
d’entreprises implantées en Iran, et 10.000 qui commercent avec lui, les
Italiens sont très présents, les Français y ont Peugeot, Renault, Total... et l’Union
européenne achète 40% du pétrole exporté par l’Iran. Airbus venait d’y vendre
une centaine d’avions. Tout ceci doit s’arrêter.
La première réaction européenne a été de
déclarer ce retour des sanctions « inacceptable ». La seconde a été
de rechercher comment contrer une telle décision. Deux exemples sont remontés à
la mémoire : du temps de Reagan, les neuf Européens avaient résisté avec
succès à une tentative américaine d’empêcher la construction d’un gazoduc allant
de Sibérie vers l’Europe. Du temps de Bill Clinton, les 15 États-membres avaient obtenu des waivers, ou exemptions,
à une loi empêchant tout investissement dans l’industrie iranienne du pétrole. Pour
arracher cette concession, les Européens avaient adopté un règlement bloquant
l’application sur leur territoire de la loi américaine et la Commission avait
saisi l’Organisation mondiale du commerce.
Mais depuis la situation s’est compliquée.
Les Européens ne sont plus neuf, ou quinze, mais 28. Ensuite, la mondialisation
a fait d’immenses progrès. Toute entreprise européenne un peu importante a des
intérêts aux États-Unis. Elle est donc soumise aux lois américaines. Tout
équipement un peu complexe a de bonnes chances d’inclure des éléments
américains. Or à partir de 10%, il tombe sous le coup des lois américaines.
C’est le cas, par exemple, des avions d’Airbus. Et puis, au moins 80% des
échanges internationaux passent par le dollar, en particulier les contrats
pétroliers, ce qui les rend passibles de la loi américaine. Voilà pourquoi les
grandes banques européennes, échaudées par de lourdes amendes, ont refusé, même
quand elles le pouvaient, de travailler à nouveau avec l’Iran.
Que faire ? Que faire ?
Pour répondre à ces défis, plusieurs idées,
d’ailleurs complémentaires, circulent parmi les dirigeants européens. La
première est d’actualiser le règlement de 1996 bloquant l’effet des lois
américaines sur le territoire européen. Elle vient d’être adoptée à la réunion
européenne de Sofia. C’est un signal de résistance bienvenu. Mais il ne paraît
pas pouvoir régler le cas des sociétés ayant des intérêts aux États-Unis, qui seront prises dans des obligations
contradictoires. De plus, les lois américaines permettent de punir non
seulement des sociétés, mais aussi des individus. Quel cadre d’entreprise
prendra le risque, s’il met le pied aux États-Unis, d’être aussitôt menotté et
présenté à un juge, par exemple pour soutien à des activités terroristes ?
La seconde idée serait de mettre en place des circuits financiers permettant de
se passer du dollar. Mais ceci prendra du temps, tant les habitudes sont
ancrées. Une troisième serait d’adopter des mesures de rétorsion dirigées vers
les entreprises américaines en Europe. Mais sur un tel principe, lourd de
conséquences, comment obtenir l’unanimité des Européens ? Une autre idée
encore serait de se passer des banques européennes récalcitrantes en créant des
circuits de financement public pour les affaires avec l’Iran. Mais sa
réalisation sera forcément complexe, si elle aboutit jamais. Dernière
cartouche : la Commission européenne pourrait attaquer les États-Unis devant l’Organisation mondiale du commerce.
Malheureusement, le résultat sera long à venir. Dans l’immédiat, les entreprises
européennes n’ont d’autre choix que de solliciter auprès de Washington un
maximum de waivers leur permettant, au cas par cas, de travailler avec
l’Iran.
Mais, même soutenues par leurs
gouvernements, elles risquent fort d’être éconduites. En effet, Donald Trump est
convaincu qu’Obama a eu tort de négocier trop tôt avec l’Iran, alors que la
vague de sanctions adoptées par les États-Unis et par l’Europe entre 2010 et 2012 n’avait
pas produit son plein effet. Téhéran pouvait encore tenir tête. En rétablissant
les sanctions dans toute leur dureté, il compte mettre les Iraniens à genoux en
deux ou trois ans, et obtenir alors tout ce qui avait été refusé à Obama. Mais
le raisonnement ne vaut que si la multiplication de waivers ne crée pas
pour les Iraniens autant d’échappatoires. Les positions paraissent donc
inconciliables.
Tirer quand même l’Iran du bon côté
Les Européens ont presque toujours été,
face à l’Amérique, timides et divisés. Maintenant qu’ils ont un mauvais berger,
les moutons vont-ils se révolter ? vont-ils devenir enragés ? Rien ne
le laisse prévoir. Depuis que l’Union européenne s’est élargie à l’Europe
centrale et de l’est, ses nouveaux membres, pour avoir connu le joug
soviétique, tiennent plus que tout à la protection américaine. Ils ne sont pas
les seuls. Il restera quelques États,
les plus impliqués dans la relation avec l’Iran : Allemagne, France,
Grande-Bretagne, Italie… à se lancer sur une ligne de crête étroite, entre
l’Amérique de Donald Trump et l’Iran de Hassan Rouhani, pour protéger l’accord
nucléaire.
Un geste fort reste quand même à la
portée des Européens pour tirer l’Iran du bon côté : lui offrir de mettre
en œuvre sans tarder, sur un pied d’égalité, un grand partenariat multiforme portant
sur la lutte contre la pollution atmosphérique, la protection des ressources
hydrauliques, l’agriculture et l’agro-alimentaire, la gestion des villes, la
médecine et la santé publique, l’excellence universitaire… Toutes affaires cruciales
pour son développement durable et qui échappent à l’emprise des sanctions
américaines. Et si un tel programme suscitait l’intérêt d’autres pays de la
région, pourquoi ne pas les inviter à s’engager dans la même voie ?