Combien sont-ils dans la grande forêt qui s’étend à une
dizaine de pays au coeur de l’Afrique, notamment dans le bassin du Congo et la
région des Grands Lacs ? 200.000 ? 600.000 ? Pour la plupart,
ils n’ont pas d’état-civil, pas de papiers. Ce sont les Pygmées, « les
peuples de la forêt », souvent les premiers habitants des régions où ils
sont implantés, et dont la petite taille serait le résultat d’une adaptation
aux conditions très particulières de survie dans la forêt humide tropicale et
équatoriale.
Les Pygmées (eux-mêmes n’aiment pas beaucoup ce terme…) sont
à l’origine des chasseurs-pêcheurs-cueilleurs vivant en symbiose avec des
populations voisines d’agriculteurs auxquels ils fournissent des produits de la
forêt, notamment de la viande, du miel, des plantes médicinales en échange de
produits agricoles, de vêtements, d’outils modernes. Ils sont en fait répartis
en groupes ethniques ayant des identités bien distinctes : Baka au
Cameroun et au Gabon, Bongo ou Babongo au Gabon, Twa ou Batwa dans la région
des Grands Lacs, Mbuti au nord-est de la République démocratique du Congo
(RDC), Aka en République centrafricaine et en RDC… Ils adoptent en général les
langues parlées dans leur environnement. Animistes (lorsqu’ils n’ont pas été
convertis), ils révèrent la forêt comme source de la vie.
Cet équilibre et ces modes de vie traditionnels ont été mis
à mal par la disparition ou l’exploitation industrielle de la forêt, par
l’apparition des grandes plantations, par des politiques d’expulsion ou de sédentarisation forcée, par exemple à l’occasion de la
création de parcs nationaux à faune protégée. Les Pygmées deviennent alors
eux-mêmes agriculteurs, artisans, ou encore salariés, parfois saisonniers, et
toujours de très faible niveau, dans des plantations ou des entreprises
d’exploitation forestière. Ils sont aussi parfois réduits en esclavage ou
quasi-esclavage par les communautés d’agriculteurs qui les côtoient. Il leur
arrive également de se transformer en chasseurs commerciaux, et parfois en
braconniers dans les parcs créés sur leurs anciens territoires, pour fournir en
viande et autres produits animaux les négociants qui sont à leur contact.
Les Pygmées sont l’objet de comportements lourdement
discriminatoires. Ils, et elles, sont souvent victimes de rapts, de tortures,
de viols, de meurtres, sous des prétextes rituels, par cupidité, et à l’occasion
de conflits ethniques et politiques. Ils ont ainsi particulièrement souffert,
et continuent de souffrir, des guerres civiles et ethniques dans la République
démocratique du Congo et dans la région des Grands Lacs. Ils ont aussi payé un
lourd tribut au génocide rwandais de 1994 : un tiers d’entre eux, soit
environ dix mille hommes, femmes et enfants, ont été massacrés, et autant ont
été alors chassés de leur habitat.