Les quelque deux millions de Hongrois de Roumanie (Hongrois proprement dits avec leurs cousins les Sicules, descendants hungarophones de tribus intégrées dès le Moyen-âge au monde hongrois) se situent pour l’essentiel en Transylvanie et au Banat. Au lendemain de la Première guerre mondiale, le Traité de Trianon détache en effet de larges pans de la Hongrie vaincue pour les incorporer à la Tchécoslovaquie, au Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (plus tard Yougoslavie), et enfin, pour ce qui concerne la Transylvanie et une partie du territoire attenant du Banat, à la Roumanie, dont le territoire est ainsi presque doublé.
La Transylvanie, en particulier, adossée
à l’arc des Carpates, dotée de paysages et de populations d’une forte
originalité, a été liée de façon plus ou moins lâche au Royaume de Hongrie depuis
sa fondation en l’an 1000 jusqu’à la conquête de Soliman le Magnifique en 1526.
Après le reflux des Ottomans, elle est rattachée à la couronne des Habsbourg,
puis cédée par ceux-ci à la Hongrie en 1867, à l’occasion de la fondation de
l’Empire Austro-hongrois. Quant à la vaste plaine du Banat, il s’agit aussi
d’une région hongroise, perdue au profit des Ottomans et récupérée par les
Habsbourg, qui y installe de nombreux colons, notamment allemands, afin de
former barrage à un possible retour des envahisseurs. La plus grande partie de
la région va vers la Roumanie et la Serbie en 1920.
Les Hongrois passés en 1920 sous
pavillon roumain représentent à peu près un tiers de la population transférée, composée
également de Roumains, déjà présents en majorité, et d’Allemands. Mais ces
Hongrois étaient jusqu’alors en position dominante, sur les plans politique,
économique et culturel. Leur situation se renverse, ils se retrouvent en
position de minorité politique, conduits à se mobiliser pour le maintien de
leur langue, de leur système d’éducation, de leur identité face à la volonté de
« romanisation » du gouvernement central. Si la nouvelle région
bénéficie au début de l’autonomie souhaitée par l’ensemble de ses habitants, la
politique de Bucarest finit en effet par s’imposer et alimente un irrédentisme
hongrois, fortement soutenu à Budapest par le régime du Régent Horthy, qui fait
de l’abolition du traité de Trianon une grande cause nationale.
Durant la deuxième guerre
mondiale, Horthy obtient d’Hitler que le nord de la Transylvanie soit à nouveau
rattaché à la Hongrie. Mais la défaite de l’Axe ramène la région à son statut
antérieur. Au lendemain de la guerre, les Hongrois ethniques, qui jouent pour
un temps un rôle important au sein du Parti communiste roumain, obtiennent la
création d’une région autonome dans une partie de la Transylvanie. Mais
celle-ci ne sera jamais dotée de réels pouvoirs. Ceaușescu, arrivé à la tête du
parti communiste en 1965, accentue encore la politique assimilationniste du
régime, qui considère comme relevant du passé toutes les revendications de
minorités. Le roumain est instauré comme seule langue nationale, et les écoles
hongroises fusionnées avec les écoles roumaines. Des Roumains d’autres régions
sont encouragés à s’installer massivement en Transylvanie au nom du
développement industriel. Ceauşescu lance aussi dans les années 1980 une
politique de destruction des villages traditionnels au profit de logements
collectifs de basse qualité, qui commence en particulier à défigurer les très
typiques paysages transylvains.
Les signes avant-coureurs de la
révolution roumaine de décembre 1989 se manifestent en des lieux densément
peuplés de Hongrois. A Cluj (« Koloszvar » en hongrois), ville
universitaire et industrielle, bastion de la présence culturelle hongroise, des
troubles éclatent dans la population ouvrière dès 1986. Ils s’étendent vers
d’autres centres industriels et conduisent en novembre 1987 à une grève et à des
manifestations massives à Brașov (« Brassó »), autre ville
transylvaine à forte tradition hongroise. A la mi-décembre 1989, les ouailles d’un
pasteur hongrois dissident exerçant dans la principale ville du Banat, Timişoara
(« Temesvár »), s’opposent publiquement à son éviction. La révolte
s’étend à l’ensemble de la population de la ville, et la police tire sur les
manifestants, faisant plusieurs dizaines de morts. D’autres villes s’agitent,
le mouvement culmine le 21 décembre dans le retournement de la foule réunie
pour écouter Ceauşescu à Bucarest, qui provoque le
renversement du tyran.
La chute du communisme et l’introduction
de la démocratie parlementaire ont permis aux Hongrois de Roumanie d’être
représentés par des partis reconnus, au premier rang desquels l’Union
démocratique des Hongrois de Roumanie, parti autonomiste modéré, récoltant
autour de 6% des voix aux élections législatives, qui a presque constamment
fait partie des majorités parlementaires successives. Leurs droits et libertés se
sont incontestablement développés, malgré les difficultés créées par les
radicaux des deux bords : irrédentistes d’un côté, nationalistes roumains
de l’autre. L’adhésion de la Roumanie et de la Hongrie à l’Union européenne a
aussi contribué à atténuer les tensions autour de la question des Hongrois de
Roumanie, en leur donnant notamment la liberté de circulation transfrontalière
et d’établissement. La poursuite de la construction européenne devrait mener
ces tensions, malgré quelques sursauts deçà delà, à s’enfoncer peu à peu
dans le passé.