Le risque d’échec de la négociation nucléaire en cours avec l’Iran
a repris quelque substance après l’émergence des difficultés mises en lumière
lors des dernières réunions d’Oman et de Vienne. La solution des principaux
points de désaccord, portant notamment sur la capacité d’enrichissement de
l’Iran, et plus encore, sur le calendrier de levée des sanctions, va réclamer
des deux parties des décisions politiques courageuses, allant à contre-courant
des positions dominantes dans leurs classes politiques respectives. La nouvelle
majorité du Congrès américain, en particulier, souhaite clairement s’inviter
dans le processus. Elle pourrait à tout moment, en adoptant de nouvelles
sanctions, soit entraîner l’échec de la négociation soit, si celle-ci était
déjà moribonde, en provoquer la mort définitive.
L’espoir d’un accord permanent et global ainsi ébranlé, l’idée a
été lancée de s’accrocher à une sorte de moindre mal, en renouvelant
indéfiniment l’accord provisoire en cours. Après tout, le Plan commun d’action
adopté le24 novembre 2013 offre aux États-Unis et à ses partenaires au sein du
groupe dit P5+1 (les membres permanents du Conseil de sécurité et l’Allemagne)
un contrôle effectif des ambitions nucléaires iraniennes en contrepartie d’un
très modeste allègement des sanctions. Aussi longtemps que l’activité iranienne
d’enrichissement demeurera plafonnée au faible taux de 5%, loin des 90%
nécessaires pour une arme nucléaire, et aussi longtemps que le réacteur de recherche
d’Arak restera inachevé, les deux voies vers la bombe (uranium hautement
enrichi et plutonium de qualité militaire) seront parfaitement verrouillées.
Mais pour l’Iran, l’acceptation d’une telle formule signifierait le
gel du développement de ses capacités nucléaires et la renonciation à tout
espoir de retrouver à un horizon déterminé une liberté de décision dans le
cadre de règles permanentes et clairement établies. Il est donc douteux que Téhéran
attende passivement que les États-Unis fassent leur choix dans la gamme des
options qui s’offrent à leurs yeux : prolongation, ou non, de cet accord
provisoire, signature ou non, d’un accord global et à long terme, imposition,
ou non, de nouvelles sanctions à l’Iran… voire déclenchement, ou non, de
frappes contre les installations nucléaires iraniennes.
Les responsables de la négociation du côté du groupe P5+1 devraient
donc se garder de l’illusion qu’ils sont enfin parvenus à coincer l’Iran sous
le poids des sanctions, aggravé en ce moment par la chute spectaculaire des
prix du pétrole. Téhéran dispose encore de cartes majeures à jouer. Américains
et Européens pourraient se retrouver poussés à un réexamen de leur comportement
si, par exemple, l’Iran en venait à annoncer qu’il étudie l’opportunité de
lancer dans un futur proche une procédure de retrait du Traité de
non-prolifération.
L’article X du Traité stipule : « Chaque Partie…aura le
droit de se retirer du Traité si elle décide que des évènements
extraordinaires, en rapport avec l’objet du présent Traité, ont compromis les
intérêts suprêmes de son pays. » L’Iran est en position d’avancer que le
blocus à peu près intégral imposé à son économie et à sa population a tous les
aspects d’une mesure extraordinaire, discriminatoire, heurtant profondément ses
intérêts suprêmes. Bien entendu, le vote de nouvelles sanctions par le Congrès
américain ne ferait qu’aggraver les choses. Et Téhéran pourrait souligner qu’un
tel comportement venant de membres du TNP autorisés à conserver un arsenal
nucléaire à l’encontre d’un cosignataire ayant renoncé à la bombe est contraire
à l’esprit et à la lettre du Traité.
Dans la même veine, l’Iran pourrait ajouter que quelles que soient
les infractions commises dans le passé aux obligations découlant de son accord
avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) – infractions pour la
plupart admises et corrigées -, personne, même au sein des nombreux inspecteurs
de l’Agence ayant procédé à des milliers d’heures de contrôles, n’a pu apporter
un élément matériel pointant vers la fabrication d’un engin nucléaire explosif ou
la préparation d’un premier test. Téhéran pourrait aussi avancer que l’accent
mis dans la négociation en cours par le groupe P5+1 sur le fameux
« breakout time » ou temps de la course à la bombe, montre que l’Iran
reste à ce jour positionné derrière la ligne de départ d’une telle entreprise.
Il pourrait conclure que le Conseil de sécurité n’avait aucun droit d’imposer à
l’Iran des sanctions du type prévu par le chapitre VII de la Charte des Nations
Unies uniquement en cas de « menace à la paix » ou de « rupture
de la paix ». A plus forte raison, pourrait-il aussi conclure que certains
des membres les plus éminents du Conseil n’avaient aucun droit à mettre en
place leurs propres sanctions dans le sillage des premières.
Dans le même temps, l’Iran, s’il veut apparaître comme un acteur
responsable, devrait, dans une telle hypothèse, clairement affirmer que son retrait
éventuel du TNP n’aura aucune influence sur la pérennité de son accord de
garanties passé avec l’AIEA, non plus que sur son intention de ne jamais
acquérir la bombe. Conformément aux clauses de cet accord, les matières nucléaires
actuellement placées sous contrôle de l’AIEA demeureraient alors soumises à
exactement les mêmes contrôles et inspections. Les nouvelles installations,
telles que les réacteurs supplémentaires que les Russes prévoient de construire
sur le site de Bouchehr, seraient également l’objet de la même surveillance de
la part de l’AIEA.
De fait, dans la nouvelle situation juridique qui serait créée, l’Iran,
pour s’exonérer légalement des contrôles de l’Agence, devrait construire et
faire fonctionner de nouvelles installations nucléaires sans aucune assistance
extérieure, en utilisant exclusivement de l’uranium extrait de son sol et des
éléments combustibles fabriqués en Iran. Pour écarter toutes craintes sur ce
dernier point, l’Iran aurait alors intérêt à assortir son éventuel retrait du
TNP d’une déclaration selon laquelle il continuerait à appliquer sur une base
volontaire les engagements contenus dans ce traité en maintenant notamment sous
contrôle de l’AIEA toutes ses installations et matières nucléaires, présentes
et à venir. Une telle démarche n’est pas sans précédent. La France, qui n’a
rejoint le TNP qu’en 1992, avait exposé dès 1968 aux Nations-Unies à la fois
les raisons de principe qui la retenaient d’adhérer au Traité et sa
détermination, au nom de la non-prolifération, à se comporter exactement comme
un signataire. En même temps, l’Iran serait sans doute enclin à rappeler que
tout projet d’attaque contre ses installations placées sous garanties de l’AIEA
mettrait fin à l’ensemble de ces gestes de bonne volonté.
Enfin, dans le fil de tels engagements, l’Iran aurait tout intérêt
à déclarer qu’il serait prêt à réintégrer le TNP le jour même où seraient
levées les sanctions qui le frappent. Considérant l’importance de ne pas laisser
se créer un précédent susceptible d’affecter la cohérence et l’efficacité du
dispositif de non-prolifération construit autour du Traité, le risque d’un
retrait de l’Iran devrait conduire les principaux membres du groupe P5+1 à
faire face à leur responsabilité de gardiens principaux du TNP. Avec un peu de
chance, cette perspective pourrait donner à réfléchir au Congrès
américain, et contribuer à accélérer la conclusion de l’accord général en cours
de discussion avec l’Iran.
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