publié le 24 janvier dans
Un moment de bonheur
Au lendemain de l’entrée en vigueur de l’accord nucléaire
entre l’Iran et le groupe des cinq membres permanents du Conseil de sécurité,
plus l’Allemagne, les « 5+1 », le Président de la République
islamique, Hassan Rouhani, s’exprimant devant le Parlement, a qualifié ce
moment de « page d’or dans l’histoire du pays ». Et de fait, la levée
de l’essentiel des sanctions internationales est un immense soulagement pour
l’économie et la société iraniennes. Certes, les Américains n’ont levé que
leurs sanctions liées au nucléaire, ce qui veut dire que les vieilles sanctions
imposées en 1995, du temps de Bill Clinton, au nom de la lutte contre le
terrorisme et de la défense des droits de l’homme, continueront, pour la
plupart, à produire leurs effets. Mais elles n’auront d’effets secondaires ni
sur les entreprises étrangères, donc européennes, ni même sur les filiales de
sociétés américaines installées à l’étranger. Il faudra néanmoins éviter de
passer par les circuits bancaires américains, mais nul doute que des solutions
seront trouvées sur ce point. Et donc, les entreprises européennes devraient
être les premières bénéficiaires des opportunités que suscite dès à présent
l’ouverture du marché iranien.
« En cette affaire » a poursuivi Hassan Rouhani
« aucun côté n’a gagné contre l’autre. La nation iranienne l’a emporté,
mais il n’y a de vaincu, ni en Iran, ni chez les nations qui ont négocié avec
nous ». Et l’on comprend que le Président savoure ainsi son succès, sur
lequel il a tout misé depuis son arrivée aux affaires à la mi-2013. Il a en
même temps préparé la population à l’idée que les effets de l’ouverture ne
pourraient être que progressifs en usant d’une métaphore bucolique :
l’Iran venait de récupérer un jardin dont l’entrée lui avait été interdite
pendant plusieurs années. Le lieu était donc en friche et il fallait à présent
biner, planter et arroser avant d’en récolter les fruits.
Les soucis reviennent vite
La célébration de ce moment historique n’a été qu’un
intermède dans les combats politiques qu’affronte le président Rouhani en sa
qualité de figure de proue des modérés et des réformateurs. L’accord nucléaire,
précisément pour les opportunités d’ouverture qu’il offre, tant en interne qu’en
externe, n’est pas du goût des plus conservateurs du régime, et il a fallu que
s’exerce l’autorité du Guide de la révolution islamique, Ali Khamenei, pour
qu’il soit approuvé à l’automne dernier par le Parlement, où ces conservateurs,
minoritaires dans le pays, sont fortement majoritaires.
Le prochain combat est donc celui des élections législatives
qui verront le renouvellement pour quatre ans de ce parlement, ou Majles. Le
premier tour des élections aura lieu le 26 février. Une autre élection se
tiendra le même jour, également au suffrage universel : celle de
l’Assemblée des experts, ensemble de 86 docteurs en religion, élu pour huit
ans, et appelé à élire un nouveau Guide en cas de décès ou d’incapacité du
tenant du titre. Or Ali Khamenei a aujourd’hui 76 ans. Il est donc possible que
la prochaine Assemblée des experts soit appelée à jouer un rôle déterminant
pour l’avenir de la République islamique en choisissant son successeur.
Si ces élections étaient parfaitement libres, nul doute que
les soutiens de Rouhani remporteraient la majorité au Majles. Mais elles sont
bridées par l’intervention du Conseil des Gardiens, sorte de Conseil
constitutionnel, qui s’autorise à éliminer d’emblée tous les candidats qui ne réunissent
pas à ses yeux les qualifications nécessaires. Or dans ce tri discrétionnaire,
les candidats réformateurs ont toujours été les grands perdants. Dès l’automne
dernier, le Président Rouhani, sentant ce qui allait venir, avait publiquement
interpellé le Conseil des Gardiens en lui demandant de respecter la
Constitution, qui lui confie simplement la responsabilité de
« superviser » les élections. Mais il avait été aussitôt contré par
le camp conservateur, notamment par la hiérarchie des Pasdaran, qui l’avait
accusé de mettre en péril les fondements de la République islamique.
Hécatombe chez les réformateurs
Les pressentiments de Rouhani se sont depuis confirmés. Sur
quelque 11.000 candidats en lice pour 290 sièges, les antennes locales mises en
place pour un premier tri par le Conseil des Gardiens en ont déjà écarté 6.000,
dont 3.000 formant la quasi-totalité des candidats marqués comme réformateurs.
Le Conseil des Gardiens tranchera en seconde instance, procédant par nouvelles
éliminations ou par repêchages, puis le Guide de la révolution interviendra
pour quelques rectifications. Mais il est à craindre que le taux d’élimination de
candidats à la prochaine élection soit le plus élevé jamais constaté dans des élections
législatives en Iran.
Rouhani est déjà remonté au créneau, en rappelant à la
télévision que le Parlement était « la maison du peuple et non d’une
faction particulière » et en annonçant qu’il allait s’employer à infléchir
la procédure en cours. Mais le Guide de la Révolution est déjà intervenu sur le
sujet en rappelant récemment que « les gens n’acceptant pas le
système »n’avaient pas leur place au Parlement. Or les Réformateurs,
souvent mêlés aux troubles et manifestations massives de 2009 qui avaient
tellement fait peur au régime, sont vus par les Conservateurs comme des
opposants irréductibles à la République islamique.
Le Conseil des Gardiens toujours à la manoeuvre
Même si ce bras de fer se concluait par l’arrivée au Majles
d’une majorité de modérés, étiquette sous laquelle Rouhani s’était présenté à
l’élection présidentielle, ses ennuis ne seraient pas terminés pour autant. Le
cœur du régime considère en effet volontiers que Rouhani a rempli son rôle en
obtenant la levée des sanctions internationales et qu’il doit désormais être
confiné à la gestion des affaires courantes jusqu’à la fin de son mandat,
mi-2017. Pour Rouhani au contraire, le moment est arrivé de tenir ses promesses
en matière d’ouverture, où il est attendu par ses électeurs. Y parviendra-t-il
ou subira-t-il le sort de son prédécesseur réformateur, Mohammad Khatami,
président de 1997 à 2005, dont toutes les initiatives législatives ont été
systématiquement bloquées par le Conseil des Gardiens, chargé de veiller à la
conformité des lois au regard de la Constitution mais aussi des principes de
l’Islam ? C’est ainsi que Khatami, de plus en plus discrédité aux yeux de
ses électeurs pour son incapacité à agir, avait cédé la place à un populiste
exalté, Mahmoud Ahmadinejad…
Rouhani le lutteur
Mais Khatami était un intellectuel un peu perdu en
politique, Rouhani est d’un autre tempérament. Formé au cœur du sérail, il en
connaît les détours. Malgré ses différences avec le Guide, il ne lui a jamais
ménagé sa loyauté, et a protégé le lien de confiance noué avec ce dernier dès
les débuts de la République islamique. Et comme démontré en d’autres
circonstances, notamment quand il était chargé au début des années 2000 du
dossier nucléaire, il a la carrure pour affronter et réduire les résistances qui
se dressent sur son chemin. A l’heure qu’il est, la plus visible est celle des
Pasdaran, cette garde prétorienne du régime, dont la puissance et l’influence
se sont renforcées au fil des années dans tous les domaines : politique
intérieure, politique extérieure, économie. Rouhani a déjà fait savoir en
plusieurs occasions qu’il ne se satisfaisait pas de cette évolution, et qu’ils
devraient revenir à leur place. Ce combat, encore feutré, se déroule au
quotidien. Le budget qui vient d’être présenté au Parlement prévoit ainsi une réduction
de 16% des crédits alloués aux Pasdaran. Certes, leur présence dans l’économie,
ou dans le contrôle d’un certain nombre de passages douaniers, leur donne accès
à d’autres ressources. Mais le signal a dû être peu apprécié.
Rien n’est joué à l’heure qu’il est. Ces tensions, ces
querelles, témoignent néanmoins, à leur façon, de la vitalité de la République
islamique, qui a jusqu'à présent invalidé tous les paris faits sur sa sclérose,
son affaiblissement, sa fin prochaine. Et puis, il y a la population iranienne,
qui a su à plusieurs reprises faire entendre son impatience. Le régime sait
qu’il ne peut lui imposer une politique de contention qui finirait par le
rendre insupportable. C’est tout l’enjeu de la période qui s’ouvre, et qui
pourrait être riche en nouvelles surprises.
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