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Après tout avoir entendu sur le caractère historique de l’accord nucléaire passé le 14 juillet entre l’Iran et les six puissances interprètes de la communauté internationale, comme sur les bénéfices attendus pour l’Iran, sa région et le monde, quelles premières leçons tirer cet épisode appelé sans doute à marquer un changement d’époque ?
Après tout avoir entendu sur le caractère historique de l’accord nucléaire passé le 14 juillet entre l’Iran et les six puissances interprètes de la communauté internationale, comme sur les bénéfices attendus pour l’Iran, sa région et le monde, quelles premières leçons tirer cet épisode appelé sans doute à marquer un changement d’époque ?
Du prix de la persévérance
D’abord l’importance de la combinaison entre volonté
d’aboutir et circonstances. Or elle a tout d’un jeu de hasard. La persévérance,
toutefois, augmente les chances de tirer la combinaison gagnante. Dominique de
Villepin a eu le mérite, en se rendant à Téhéran en octobre 2003 en compagnie
de ses homologues allemand et britannique, de poser les fondements d’une
négociation qui ne s’est ensuite jamais interrompue, malgré bien des aléas,
jusqu’au résultat final de juillet 2015. Mais il ne reste pas assez longtemps à
son poste pour faire mûrir les premiers fruits de son initiative. Le dossier
bénéficiait pourtant de la conjoncture favorable générée par la présence
simultanée d’un président iranien désireux de renouer avec l’Occident, Mohammad
Khatami, et d’un négociateur énergique, Hassan Rouhani. Il est vrai qu’il
aurait fallu pour déboucher forcer la main de l’administration de Georges W.
Bush, vent debout contre toute entreprise pouvant consolider le régime de
Téhéran. Et l’appareil d’État français, encore traumatisé par les effets du
différend entre la France et les États-Unis sur l’Irak, n’était pas préparé à
une nouvelle brouille avec Washington.
Quant à Rouhani, déjà cité, qui conduit de 2003 à 2005
l’équipe de diplomates iraniens en charge du dossier avec déjà la ferme volonté
d’aboutir, il doit attendre huit ans, le temps des deux présidences
d’Ahmadinejad, pour voir son heure revenir en se faisant élire à la Présidence
de la République, et pour être enfin en mesure de réaliser son projet. Obama
qui dès sa première campagne présidentielle, en 2008, annonçait son intention
de renouer avec l’Iran, attend, lui, quatre ans et sa seconde élection pour
pouvoir commencer à produire œuvre utile en s’appuyant sur un Secrétaire d’État,
John Kerry, à la fois énergique et convaincu de la justesse d’une politique
d’ouverture.
Donner du temps au temps
Vient ensuite la constatation qu’il existe des durées
difficilement compressibles de maturation des dossiers, comme s’il fallait que
les acteurs s’emparant d’une affaire aient eu le loisir d’explorer toutes les
formules inopérantes avant de se rallier aux bonnes solutions. Pour les
quelques personnes à travers le monde familières à la fois de l’Iran et des questions
de non-prolifération, il était clair dès 2004 que l’issue de la crise ne pourrait
se trouver que dans une seule direction : l’acceptation de l’existence du
programme nucléaire iranien, dont aucun élément n’était formellement contraire
au Traité de non-prolifération, accompagnée d’une stricte limitation de son
format et de l’installation d’une clôture de contrôles suffisamment étroits et
sensibles pour que la moindre tentative de franchissement vers la bombe soit
aussitôt détectée et sanctionnée. Et c’est bien à cela que la négociation est
arrivée. Mais ce discours était alors proprement inaudible pour ceux qui, en
charge du dossier au début des années 2000, ne voyaient qu’une seule issue à la
crise : l’acceptation par l’Iran du démantèlement son programme
d’enrichissement de l’uranium par centrifugation, le fameux « zéro
centrifuge ». C’était ignorer qu’une telle exigence serait toujours perçue
en Iran comme un avatar de la vieille politique des puissances coloniales visant
à maintenir le pays dans un éternel état d’arriération. Il a fallu près de dix
ans pour que l’Occident, et en particulier l’Amérique, abandonne cette position
intenable, ce qui a aussitôt libéré les opportunités de sortie de crise.
Il est vrai que la nature du régime iranien cristallisait
toutes les inquiétudes, encourageait toutes les phobies. Dès le début des
années 1990, surgissait à intervalles réguliers dans la presse internationale
la prédiction que l’Iran était en train de se doter de l’arme nucléaire et
qu’il ne manquerait pas d’atteindre son but dans les deux ou trois années à
venir. La nouvelle venait tantôt d’Europe, tantôt des États-Unis, et plus
souvent qu’à son tour d’Israël. Or s’il y a bien eu des velléités en ce sens, à
elles seules condamnables, elles n’ont jamais dépassé le stade des
préliminaires. Le procès fait à l’Iran a donc pris assez vite la tournure d’un
procès d’intention. Et beaucoup des acteurs de la crise vivaient dans la
proximité de fantômes tels que la Shoah pour les Israéliens, les prises
d’otages et les attentats dévastateurs pour les Américains et les Européens, ou
encore le soutien indéfectible de l’Occident à Saddam Hussein du côté des
Iraniens. Cela déformait toutes les analyses.
De l’adéquation du but et des moyens
Et puis, pour mener à bon rythme une négociation complexe de
ce type, il faut accepter d’y mettre les moyens. Les Américains lorsqu’ils se
sont décidés à entrer publiquement dans le jeu en 2013, ont mobilisé leurs
meilleurs professionnels au service d’objectifs clairement définis. Des
douzaines de diplomates, de fonctionnaires et d’experts, sans doute autour de
la centaine, ont travaillé en permanence pendant plus de dix-huit mois sur le
dossier. On est loin des quelques fonctionnaires, certes de haut niveau, qui
traitaient épisodiquement du sujet dans les trois capitales européennes au
début des années 2000.
Les Iraniens, à même époque, avaient pourtant réuni une
équipe de négociateurs à plein temps. Mais elle tendait à s’étioler, faute de répondants
suffisamment mobilisés à l’autre bout de la ligne. Il est vrai que nous
n’étions peut-être pas en ce temps très pressés d’aboutir, ayant déjà empoché
une concession majeure de la part de Téhéran : la suspension, tant que
durerait la négociation, de toute activité liée de près ou de loin à
l’enrichissement d’uranium.
Un monde unipolaire
Sur un tel dossier, force est enfin de constater que se
discerne mal l’ère du monde « multipolaire » ou « apolaire »
qui serait la nôtre aujourd’hui. Que ce soit pour bloquer ou pour avancer, les
Américains ont été constamment à la manœuvre. Les Iraniens ne s’y sont pas
trompés et ont donc, dès qu’ils l’ont pu, cherché à traiter avec le patron
plutôt qu’avec ses séides. L’Europe, à trois ou à vingt-huit, n’est jamais
parvenue à s’imposer. La négociation finale a été sur les points clés une
négociation bilatérale, dans laquelle les autres parties ont joué parfois les
grognards, et toujours les utilités. Même les Russes et les Chinois n’ont
jamais mis en cause cette prééminence américaine dans la conduite de l’affaire.
Ils ont toujours fini par rejoindre Washington, y compris sur des questions
allant directement à l’encontre de leurs intérêts, telles que le maintien d’un
embargo sur les ventes d’armes conventionnelles à Téhéran. A la lecture du cas
iranien, le monde de la lutte contre la prolifération nucléaire apparaît encore
clairement, et pour encore un certain temps, comme un monde unipolaire.
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