mardi 2 juin 2015

L’Iran et son Protocole additionnel : une question brûlante, légale et politique

Personne ne connaît le contenu exact du Protocole additionnel signé par l’Iran et l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) en décembre 2003. Ce protocole visait à compléter et renforcer l’Accord de garanties réglant l’exercice des contrôles de l’AIEA sur le programme nucléaire iranien, par bien des côtés insuffisant et donc obsolète, signé par les deux mêmes parties en 1973 et entré en vigueur l’année suivante. L’Iran n’a pas présenté le Protocole additionnel à son Parlement pour ratification, mais l’a néanmoins appliqué en geste de bonne volonté de 2004 à février 2006, date à la quelle il a été traîné devant le Conseil de sécurité. Le texte de ce protocole n’a jamais été rendu public, et il nous faut donc croire M. Amano, Directeur général de l’AIEA, lorsqu’il nous dit que ce document autorise son Agence à aller inspecter tous types de sites, qu’ils soient civils ou militaires. Nous savons aussi que le Guide suprême iranien a formellement rejeté l’idée que l’accord en cours de négociation avec les groupe dit « P5+1 » –  Chine, États-Unis, France, Grande-Bretagne, Royaume uni, Russie, plus l’Allemagne – puisse autoriser l’AIEA à pénétrer dans des sites militaires ou à interroger des scientifiques nucléaires.

Nous pouvons toutefois présumer que le contenu du Protocole additionnel signé entre l’AIEA et l’Iran ne doit pas être très différent du Protocole additionnel type dont le texte est disponible sur le site de l’Agence. Si tel est le cas, quels sont les droits et devoirs de l’Iran dans le cadre d’un tel accord ? Le point est important car dans l’accord-cadre de Lausanne devant mener fin juin à un accord définitif, l’Iran se déclare prêt à appliquer à nouveau sur une base volontaire le Protocole additionnel signé en 2003, en attendant sa ratification par le Parlement.

Le Protocole additionnel type fait clairement ressortir que les inspecteurs de l’AIEA ont un droit d’accès à tout site, emplacement ou installation du pays contractant, ce qui inclut implicitement les sites militaires. Mais les motifs d’un tel accès font l’objet de définitions précises. Ils doivent avoir un lien avec la présence de matériel nucléaire ou avec des activités de recherche et de développement relevant de ce qu’on appelle le cycle du combustible nucléaire. En d’autres termes, les inspecteurs de l’AIEA sont autorisés à rechercher des matières fissiles ou des sources de matières fissiles – pour l’essentiel, uranium et plutonium – ou encore des activités se rapportant à la gestion de ces matières, telles que la conversion et l’enrichissement d’uranium, la fabrication de combustible nucléaire, le fonctionnement de réacteurs nucléaires, ou le retraitement du combustible usé. Mais les recherches scientifiques théoriques ou fondamentales échappent à l’application du Protocole additionnel. Même en s’appuyant sur ce texte, les inspecteurs de l’AIEA ne peuvent pas pénétrer dans n’importe quel bâtiment, dans n’importe quel bureau, et ouvrir n’importe quel tiroir ou ordinateur à la recherche de n’importe quel document.

Les « possibles dimensions militaires »

Assez curieusement, les activités proprement consacrées à la fabrication d’un engin nucléaire explosif ne sont pas couvertes par le Protocole additionnel type, tant que ces activités n’impliquent pas la manipulation d’uranium ou de plutonium. Ceci signifie, par exemple, que les demandes insistantes de l’AIEA pour visiter un bâtiment spécifique du complexe militaire de Parchin, dans lequel les Iraniens sont soupçonnés d’avoir conduit à la fin des années 1990 des essais d’explosifs classiques pouvant servir d’amorce à des explosions nucléaires, échappent au champ du Protocole additionnel. Tel est le cas également de toutes les autres requêtes d’inspection présentées par l’Agence au titre des « possibles dimensions militaires » du programme nucléaire iranien.

Dans le jargon de l’AIEA, ces « possibles dimensions militaires » concernent des activités non déclarées, conduites pour la plupart avant 2003, date à laquelle, selon la communauté américaine du renseignement et l’AIEA, un programme clandestin d’acquisition de la bombe aurait été interrompu par une décision prise au plus haut niveau de l’État iranien. Nous savons que le « P5+1 », ou en tous cas ses membres occidentaux, sont impatients de clarifier ce dossier des « possibles dimensions militaires ». Mais l’analyse qui vient d’être faite des limites des pouvoirs conférés à l’AIEA par le Protocole additionnel conduit à la conclusion que le Protocole ne couvre pas un tel sujet. Celui-ci devrait donc être traité dans un autre chapitre du futur accord entre l’Iran et le P5+1, encore à écrire, et parfois évoqué sous nom de « Protocole additionnel plus ».

Le même raisonnement s’applique aux demandes de l’AIEA visant à interroger certains scientifiques nucléaires iraniens. Le Protocole additionnel type ne traite pas spécifiquement de cette possibilité dans la définition des activités de vérification que l’AIEA est autorisée à conduire. Mais l’on peut à bon droit considérer de tels contacts font implicitement partie des procédures de collecte d’information relevant de la mise en œuvre de l’Accord de garanties de base aussi bien que de son Protocole additionnel. En revanche, ces entretiens ne pourraient pas déborder des limites fixées par ces deux documents. Ils devraient donc se confiner à la recherche d’informations sur l’uranium et le plutonium présents sur le sol iranien, ainsi que sur les activités de recherche et de développement se rattachant au cycle du combustible nucléaire. Mais à nouveau, les questions que l’AIEA aimerait poser pour clarifier la question des « possibles dimensions militaires » du programme iranien vont bien au-delà de ces questions et relèvent donc plutôt d’un « Protocole additionnel plus ».

Peurs et mauvais souvenirs

Malheureusement, les dispositions envisagées pour un tel « Protocole additionnel plus » ravivent de mauvais souvenirs pour les Iraniens. Bien entendu, ils n’ont pas été directement concernés par les investigations menées par les Nations Unies et l’AIEA en Irak à la suite de la première guerre du Golfe, pour mettre à jour des sites de production et des stocks d’armes de destruction massive. Mais les récits qui ont circulé à l’époque sur le comportement brutal et le faible respect de la règle du secret de certaines équipes d’inspecteurs des Nations Unies ont frappé les esprits dans toute la région et au-delà. L’épisode a été perçu comme fondamentalement humiliant pour tout État souverain.

Il y a eu aussi l’affaire Stuxnet. Elle est certes sans lien avec les inspections de l’AIEA, mais l’introduction par une main étrangère de ce virus informatique hautement destructeur dans un programme de contrôle de centrifugeuses acquis par l’Iran auprès de Siemens a été perçue comme le résultat d’une interaction avec le monde extérieur. Et les Iraniens ne peuvent oublier les assassinats en série de leurs scientifiques nucléaires entre 2010 et 2012. Là encore, pas de lien avec les inspections de l’AIEA, mais probablement un lien avec une activité de coopération internationale. Trois des cinq victimes étaient associées au projet Sesame, projet scientifique régional autour d’un synchrotron installé en Jordanie, et conduit par neuf participants : Bahreïn, Chypre, Égypte, Iran, Israël, Jordanie, Pakistan, Autorité palestinienne et Turquie. Ces scientifiques devaient donc se rendre à Amman, offrant ainsi une cible facile pour la collection de données sur leurs lieux de vie et de travail ou leurs relations personnelles. Et pour en revenir à l’AIEA, un certain nombre d’observateurs regrette que, contrairement à ses pratiques antérieures, l’Agence ait développé ces dernières années une relation jugée plutôt malsaine avec un certain nombre de services de renseignements. Cela lui permet certes d’enrichir ses bases de données, mais augmente aussi pour elle le risque de se faire manipuler.


Tous ces éléments tournent certainement dans l’esprit des négociateurs iraniens, les rendant particulièrement réticents à toute proposition tendant à mettre en place des mécanismes de vérification allant au-delà de leur Accord de garanties et de son Protocole additionnel. D’un côté, les soupçons soulevés par les précédentes infractions de l’Iran à ses obligations en matière de non-prolifération rendent difficile à l’AIEA de fournir la certification de l’absence de toute activité nucléaire non déclarée sur le sol iranien sans disposer, au moins pour un temps, d’une sorte de boîte à outils lui permettant d’aller à la recherche d’éventuels programmes nucléaires militaires. Et la production par l’AIEA d’un tel certificat de bonne conduite est évidemment essentielle à la consolidation de la confiance entre l’Iran et la communauté internationale. D’un autre côté, les Iraniens craignent que cette boîte à outils ne se transforme en boîte de Pandore, libérant des possibilités d’enquêtes sans fin et toujours plus intrusives. Pour rendre la question encore plus difficile, il est probable que les scientifiques, ingénieurs et militaires ayant trempé dans le programme nucléaire non déclaré arrêté fin 2003 ont bénéficié de la part du Guide suprême lui-même d’une promesse d’immunité juridique et de protection personnelle en échange de leur acceptation de cette décision difficile. Décidément, les négociateurs travaillant en ce moment des deux côtés à la mise au point d’un accord pour la fin juin vont devoir déployer toute leur imagination, toute leur ingéniosité, pour parvenir à trouver une solution mutuellement acceptable à la question hautement conflictuelle d’un « Protocole additionnel plus ».

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