dimanche 4 novembre 2018

IRAN 2028, UNE RÊVERIE POLITIQUE


(paru dans la revue "Politiques étrangères", automne 2018)


Il est difficile de faire des prédictions
 surtout quand elles concernent l’avenir (anonyme)

Toujours l’inattendu arrive (sagesse populaire)

Début 2028, l’Iran se prépare à une nouvelle élection législative. La dernière décennie a été agitée, entraînant des évolutions sensibles du régime et de la société. Sept ans auparavant, le Guide suprême, affaibli par une longue maladie, avait dû se retirer, quelques mois avant l’élection présidentielle du printemps 2021, marquant la fin du mandat du Président en exercice. Le Guide avait évidemment préparé sa succession en avançant le nom d’un fidèle. Mais l’Assemblée des experts, composée de 88 religieux chargés d’élire son successeur, avait échoué à le faire élire, la minorité modérée de l’Assemblée multipliant les obstacles pour bloquer ce candidat conservateur, et poussant en revanche le nom du Président de la République pour quelques mois encore. En outre, la majorité conservatrice s’était finalement divisée entre deux candidats, l’un se revendiquant du Guide suprême sortant, l’autre ensuite apparu, et doté clairement de titres plus éminents. Certes, l’écho de ces querelles s’était trouvé amorti par le caractère secret des débats, mais le blocage était devenu visible lorsque l’Assemblée, conformément à la Constitution, avait mis en place un Conseil de guidance de deux membres, chargé de gérer l’intérim. Au bout d’une quinzaine de jours toutefois, la majorité conservatrice du Conseil était parvenue à s’unir autour d’un troisième nom, ralliant une quasi-unanimité, y compris dans la minorité modérée, car âgé de 80 ans, plutôt effacé, et se présentant comme un Pape de transition.

Mais ce respectable exégète de la loi islamique se révèle assez vite un piètre politique. Ceci ne se voit pas immédiatement, l’opinion étant d’abord mobilisée par l’imminente élection présidentielle. Le Président en exercice, conformément à la Constitution, ne peut plus se présenter. Sa fin de mandat, marquée par le retrait en 2018 des Etats-Unis de l’accord nucléaire, conclu par six puissances à Vienne en juillet 2015, a été très difficile. Après des débats feutrés au cœur du régime, le consensus s’était fait fin 2018 sur l’idée de maintenir sans bruit l’Iran dans l’accord, en vue de préserver la possibilité d’une relance des échanges avec l’Europe, et de conserver le soutien de la Chine et de la Russie : façon aussi de préserver l’avenir au cas où Donald Trump finirait par disparaître au profit d’un Président plus pragmatique. Mais sous l’effet des sanctions américaines, l’argent du pétrole s’est raréfié, mettant le budget de l’État et l’économie nationale en état de choc. Malgré la mise en place d’une « économie de la résistance » et surtout de réseaux de contournement des sanctions, de nombreux produits naguère importés ont disparu des marchés, la monnaie iranienne a filé face au dollar, et la hausse du coût de la vie a rendu beaucoup de produits inaccessibles à la plupart des consommateurs. La grogne s’est répandue, des manifestations parfois violentes ont éclaté dans différents coins du pays. Plusieurs quartiers de Téhéran ont connu des jours d’émeutes, la répression a fait des dizaines de morts. Beaucoup, à l’extérieur, se sont mis à espérer – une fois de plus – la fin prochaine de la République islamique.

Jeux politiques et mouvements de société

Dans ce marasme, les élections législatives de 2020 ont marqué un fort recul du camp des modérés, mais les conservateurs ont aussi reculé, le seul vainqueur étant un marais de défenseurs d’intérêts locaux. Dans la campagne présidentielle de 2021, les conservateurs, instruits par les divisions qui les avaient précédemment conduits à l’échec, parviennent à faire bloc autour d’un religieux… qui n’est autre que leur meilleur candidat, quelques semaines auparavant, à la position de Guide suprême. Ils avaient un moment sollicité un charismatique général, mais celui-ci a confirmé qu’il ne souhaitait pas entrer en politique. C’est le camp des modérés qui, cette fois-ci, s’effrite, avec plusieurs candidats s’affichant les uns comme réformateurs, les autres comme centristes. A l’issue du deuxième tour, dans une atmosphère de désenchantement créé par les difficultés économiques, le candidat conservateur l’emporte, mais avec une participation étriquée, à peine supérieure à 50%.
Le nouveau président s’est donné six mois pour reposer la question de la sortie de l’Accord de Vienne. Trump réélu à l’automne 2021, la décision d’en sortir est prise au sein du Conseil suprême de sécurité nationale. Pour éviter une crise internationale -- et peut-être des bombardements américains ou israéliens --, l’Iran prend toutefois l’engagement de ne pas enrichir son uranium au-delà de 5%, et pas au-delà de 20% pour des quantités destinées son petit réacteur de recherche. Il prend également l’engagement de ne pas développer une filière de retraitement, qui lui aurait donné accès à du plutonium de qualité militaire. C’était le prix demandé par les Européens, mais aussi les Russes et les Chinois, pour continuer à amortir l’effet ravageur des sanctions américaines.

Mais au-delà de ces jeux politiques, et malgré toutes ses difficultés, la société iranienne a continué à rapidement évoluer au cours de la décennie. Les femmes et les étudiants ont joué un rôle majeur dans l’émancipation de vastes segments de la société. Dans les grandes villes, l’érosion des codes du régime a gagné les classes populaires. En 2028, les citadins dans tout le pays ressemblent de plus en plus à ceux de Téhéran. Seules les campagnes ont conservé leur aspect traditionnel, mais elles ne représentent plus que 15% de la population totale de l’Iran. Parmi les marqueurs les plus visibles de cette évolution, se retrouve la très molle application des règles de modestie islamique : le short est apparu l’été chez les hommes, les avant-bras nus chez les femmes, le voile ou le foulard reste en principe obligatoire, mais tombe souvent sur les épaules dès lors que sa propriétaire entre dans un espace couvert (ou encore dans une automobile). De plus en plus de femmes conduisent des motocyclettes. Plus sérieux, le taux de fécondité des femmes s’est constamment maintenu au-dessous de deux enfants, la pratique des « mariages blancs », c’est-à-dire de la vie en couple informelle, s’est développée, le taux des divorces a progressé, la pratique religieuse a encore reculé. La société iranienne présente désormais un aspect postislamique. L’expansion de l’usage d’internet, la popularité croissante des réseaux sociaux, l’accès illimité au monde extérieur par satellite, ordinateur ou tablette, ont joué un rôle majeur dans ces évolutions.

Reprise en main conservatrice

Le régime a tenté de lutter contre ces phénomènes, sans succès. Avec l’élection en 2021 d’un Guide suprême et d’un Président à l’unisson dans le conservatisme, de nombreuses fatwas et directives lancées par le premier, mises en œuvre par le second et soutenues par un pouvoir judiciaire conservateur, se sont efforcées de reprendre en main la société, mettant sur le relâchement des mœurs les difficultés de la période. Les femmes, qui avaient été autorisées à assister à des compétitions sportives, en sont à nouveau exclues. Les seuils d’application de la peine de mort pour trafic de drogue, qui avaient été fortement relevés en 2017, épargnant des milliers de condamnés, sont à nouveau rabaissés, sans toutefois retrouver leur étiage antérieur. La lutte contre les pratiques contraceptives est relancée, sans effets probants. La police a été sommée de procéder à un démontage massif des antennes satellitaires des particuliers, le contrôle s’est renforcé sur les réseaux sociaux. Les tribunaux ont durci leurs peines contre les comportements non-islamiques, appliquant systématiquement des châtiments corporels en cas de consommation d’alcool, ou de tenue trop légère des femmes. Rien n’y fait. Une résistance sourde a émergé de la société, la police, mobilisée au-delà de ses capacités, a vu son zèle s’effriter, et la plupart de ces mesures ont fini vidées de leur substance. Seule est demeurée la hausse des exécutions capitales, mais là encore, l’évolution des sensibilités collectives a obligé à abandonner l’usage des exécutions publiques, dont certaines avaient généré de graves désordres. Et les prisons sont pleines à déborder.

Grâce aux réseaux sociaux, la pratique des manifestations surprises, ou flashmobs, aussi soudainement réunies que dispersées, s’est répandue dans le pays, laissant désemparées les forces de l’ordre. Les vidéos d’une manifestation de ce type, réunissant place de la Liberté à Téhéran plusieurs milliers de femmes agitant pendant trente secondes leur foulard à bout de bras, ont fait le tour du monde. Du coup, le geste s’est reproduit dans plusieurs villes d’Iran, et même dans la ville sainte de Qom. Dans le même temps, les difficultés croissantes de la population dans une économie nationale en berne sous l’effet des sanctions, comme la montée régulière du chômage, notamment du chômage des jeunes, que le nouveau gouvernement n’est pas parvenu à enrayer malgré de grandiloquentes déclarations, ont conduit à une extension des mécontentements réunissant bourgeoisie, couches populaires et paysannerie.

Impasses et ouvertures

Ce sentiment d’impasse en tous domaines s’est trouvé accentué par une crise environnementale multiforme touchant l’ensemble du pays : pollution atmosphérique devenue insupportable dans les grandes villes, notamment à Téhéran, répétition des tempêtes de sable dans le sud-ouest de l’Iran, grave pénurie d’eau dans les campagnes. A l’approche des élections législatives de 2024, l’opposition aux conservateurs a relevé la tête et a commencé à s’organiser. Même si les résultats du scrutin ont fait la part belle, une fois de plus, aux intérêts locaux, le camp des conservateurs doctrinaires s’est trouvé réduit à la portion congrue, et le gouvernement privé de soutien parlementaire assuré.

En outre, l’Assemblée des experts chargée de l’élection du Guide, qui était appelée par la même occasion à se renouveler, penche pour la première fois de son histoire vers la modération. C’est alors, à l’automne 2024, entre élections législatives et présidentielles, qu’éclate un scandale majeur de corruption, à la suite de la découverte d’un vaste réseau de compromissions organisé autour des procédures de contournement des sanctions internationales, qui éclabousse pratiquement tous les hiérarques du régime. L’entourage du Guide lui-même, celui du Président de la République, et jusqu’au Président du pouvoir judiciaire se retrouvent impliqués. Le Président de la Banque centrale s’enfuit à l’étranger. L’on découvre alors qu’il avait la double nationalité iranienne et irlandaise. Là encore, les réseaux sociaux jouent tout leur rôle pour empêcher l’étouffement des affaires. La presse, même conservatrice, est obligée de suivre, cherchant dans tout cela la main de l’étranger.

Dans cette ambiance délétère, le Guide suprême tombe opportunément malade et s’efface peu à peu de la scène publique, sans toutefois démissionner. L’ancien Président de la République, qui a cultivé discrètement ses soutiens pendant cette traversée du désert, prend alors la tête d’une campagne pour une révision de la Constitution par référendum, prévoyant notamment l’abolition de la position de Guide suprême au profit d’un triumvirat de docteurs de la loi, uniquement chargés d’intervenir sur les questions d’éthique et les grands principes de gouvernement. Les domaines jusque-là réservés du Guide -- police, armée, gardiens de la Révolution, radio-télévision d’État – passeraient alors sous la coupe de la Présidence de la République.

À l’approche de novembre 2024, chacun en Iran retient son souffle dans l’attente de l’élection présidentielle américaine, à laquelle Donald Trump ne peut plus se présenter. Celui-ci avait encore durci les sanctions américaines à l’orée de son deuxième mandat, persuadé qu’une dernière poussée mettrait la République islamique à terre. Sous cette pression croissante, le gouvernement iranien s’était résolu début 2022 à entrer secrètement en contact avec Washington. Mais les exigences américaines, visant au démantèlement complet des programmes iraniens d’enrichissement et de développement balistique, ainsi qu’à la mise en place d’un système d’inspections extraordinairement intrusif, sont jugées inacceptables à Téhéran. Elles ressemblent trop aux conditions léonines imposées à Saddam Hussein en 1991. Les tirs d’essai balistiques, auxquels les conservateurs avaient donné une nouvelle impulsion à leur arrivée, avaient été interrompus en signe de bonne volonté dans la première phase de pourparlers, de même que la mise en place de centrifugeuses plus performantes. Mais au bout d’une année, les conversations se sont étiolées, et les rencontres espacées. L’activité de recherche-développement dans le domaine balistique et de l’enrichissement de l’uranium est relancé, mais sans s’accompagner comme naguère de déclarations provocatrices.

Sur le plan régional, le délitement de grandes espérances

Sur cette période, les grandes espérances nourries par l’Iran quant à son influence régionale ont été loin de se concrétiser. Au milieu de la décennie 2020, Bachar est toujours en Syrie, une nouvelle constitution de type parlementaire a été adoptée à l’issue d’un référendum étroitement supervisé par les Nations Unies, mais le maître de Damas conserve en sous-main l’essentiel des pouvoirs. Il dispose d’ailleurs d’une majorité confortable au Parlement, qui lui a permis de se faire élire à la Présidence de la République. Un cousin à lui est Premier ministre. Le pays est en principe pacifié et réunifié, mais des poches d’insécurité subsistent dans les campagnes. La région kurde a obtenu une large autonomie et s’est placée sous protectorat de fait américain. Les Turcs gardent encore à leur frontière quelques gages territoriaux en territoire syrien. Le Hezbollah libanais est rentré chez lui, sauf pour un certain nombre d’assistants et interprètes auprès des quelques dizaines de conseillers iraniens demeurés sur place. En 2023, un populaire général des Pasdaran a été grièvement blessé en un accident de la route entre Damas et Alep –ou était-ce, comme la rumeur en a couru, par le tir d’un drone israélien ? Il a dû se retirer du service actif et a été nommé conseiller du Guide. Les dividendes de la victoire ont été finalement assez minces pour Téhéran. Le pays dévasté avait peu à offrir : quelques projets immobiliers, quelques concessions minières, mais l’argent international de la reconstruction est arrivé au compte-goutte, et la plupart des donateurs ont veillé à ce que rien n’en parvienne à l’Iran. L’axe routier Téhéran-Méditerranée, présenté comme l’un des grands desseins de Téhéran, existe en effet mais ne soutient que peu de trafic. Les projets d’axe ferroviaire, d’oléoduc et de gazoduc, annoncés en grande pompe, restent dans les limbes.

Côté Irak, l’emprise de l’Iran sur la classe politique s’est plutôt desserrée au fil des progrès, certes timides, de la démocratie. La corruption demeure dans tous les secteurs, les administrations restent tragiquement faibles, mais les élections jouent un rôle réel sur les équilibres politiques, et la majorité chiite s’est plus largement ouverte à des combinaisons politiques multiconfessionnelles. Les Chiites, d’ailleurs, ne sont pas épargnés par la division. Quel que soit l’attachement de certains à l’Iran, et la reconnaissance de tous pour son rôle dans l’élimination de Da’esh, un point fait consensus dans tout l’Irak : le refus d’application au pays d’un régime à l’iranienne.

La nouvelle donne de 2025

C’est dans ce contexte qu’est élu un président américain républicain puisant dans le même électorat que Donald Trump. Mais entre temps est passé sur le monde une sérieuse récession économique, qui a ébranlé beaucoup de convictions. Le nouveau Président ne dispose pas de majorité assurée au Congrès, ce qui limite ses capacités d’action. Peu enclin à s’engager à l’extérieur, il ne change rien à la ligne américaine sur les sanctions à l’égard de l’Iran, mais dit aussi à l’occasion de son message de Norouz 2025 qu’« il appartient aux Iraniens de régler les problèmes de l’Iran ». Quelques semaines plus tard, est élu à la Présidence de la République islamique un candidat soutenu par le dernier président modéré, qui n’était autre qu’un de ses ministres majeurs il y a quatre ans. Sa campagne s’est axée sur quatre thèmes porteurs : réforme des institutions, lutte sans merci contre la corruption, libération de l’économie, relance du dialogue avec le monde extérieur. Le Général commandant les Pasdaran s’élève publiquement contre la disparition possible de la fonction de Guide suprême, y voyant une trahison de la pensée de l’Imam Khomeyni, mais son intervention soulève un tel tollé qu’il est forcé de rentrer dans sa réserve.

Avant même l’entrée en fonctions du nouveau Président, le Guide suprême, dont l’état de santé s’est aggravé, n’a d’autre choix que de se retirer, malgré les efforts de son entourage pour dissimuler la situation. Conformément à la Constitution, l’Assemblée des experts met en place un conseil intérimaire, dont elle s’assure qu’il donnera son accord à une révision constitutionnelle par référendum. La réforme est adoptée en janvier 2026 par une très large majorité, traduisant l’aspiration populaire à une profonde évolution des institutions.
Le nouveau Conseil de guidance est alors formé, il comprend deux anciens présidents de la République restés populaires dans l’opinion, et considérés comme réformateurs ou modérés, ainsi qu’une personnalité conservatrice mais largement respectée, un Marja, ou Source d’imitation, issu des écoles de théologie de Qom, d’ailleurs partisan d’une séparation du politique et du religieux. Sa première décision est de ramener l’administration du bureau du Guide, qui comptait près d’un millier de fonctionnaires, à quelques douzaines de personnes.

Les débuts du nouveau gouvernement sont toutefois difficiles. S’il lance résolument une série de grandes réformes, les administrations ont peine à suivre, et la population, impatiente, ne voit rien venir quant à son bien-être matériel. Elle s’agite à nouveau, et les forces de l’ordre, prises dans des attentes contradictoires, se montrent hésitantes sur la conduite à tenir. Quant à la hiérarchie des Pasdaran, déstabilisée par les mesures prises pour desserrer son emprise sur l’économie, elle ne fait rien pour faciliter la tâche du gouvernement. Le Président paraît un moment vaciller, mais reprend finalement la main après s’être assuré du soutien des principaux commandants de l’armée régulière. Sur un propos critique à l’égard du gouvernement, le général responsable des Pasdaran est démis de ses fonctions. Le Conseil suprême de guidance, s’appuyant sur les propos de l’Imam Khomeyni, rappelle opportunément à cette occasion la nécessité de subordination des forces armées au pouvoir politique et religieux. A peu près à même époque, un nouveau responsable du pouvoir judiciaire est nommé, avec instruction de consacrer tous ses efforts à la lutte contre la corruption. Un tribunal spécial est mis à cet effet en place. Les premières condamnations tombent, et même quelques exécutions. Mais ce début de mandat est gâché par une grave émeute dans les quartiers pauvres du sud de Téhéran, peut-être lancée en sous-main par des conservateurs radicaux. Elle est très violemment réprimée, faisant naître le ressentiment dans les milieux populaires.

Une percée décisive à l’international

Dans ce climat intérieur tourmenté, il est urgent pour le gouvernement d’afficher quelques succès sur d’autres terrains et, avant toutes choses, de desserrer l’étau des sanctions. Répondant à l’attente de l’opinion, désireuse de voir le gouvernement se recentrer sur les problèmes de sa propre population, le Président de la République prononce dès septembre 2025 à la tribune de l’Assemblée générale des Nations Unies un discours appelant à la réconciliation et au pardon des offenses passées. Rompant un tabou majeur, il y déplore les souffrances inutiles infligées aux diplomates américains pris en otage à Téhéran 50 ans plus tôt. Il présente ses regrets pour la mise à sac de l’ambassade d’Arabie saoudite à Téhéran en 2017. Après avoir rappelé l’illégitimité originelle de l’État d’Israël et condamné sa politique à l’égard des Palestiniens, il dit son espoir de voir un jour Juifs et Arabes vivre paisiblement côte à côte. Ces propos suscitent une prudente curiosité dans l’opinion internationale et dans les capitales concernées. A Jérusalem, où le gouvernement, ces dernières années, a détruit toute possibilité de coexistence de deux Etats sur le territoire de l’ancienne Palestine, on rappelle que les mots ne suffisent pas, qu’il faut passer aux actes et cesser de soutenir ceux qui veulent la fin de l’État hébreu : Hamas, Jihad islamique, Hezbollah… Washington reprend en revanche ses contacts avec Téhéran, en laissant filtrer la nouvelle. Du côté iranien, l’on veut bien revenir, en l’actualisant, à l’accord de Vienne, mais il n’est pas toujours pas question d’un démantèlement du programme d’enrichissement, ni d’ailleurs d’un encadrement du programme balistique. L’impasse demeure donc mais le contact n’est pas rompu et les Européens, désireux d’en finir avec la crise, font pression sur les deux parties. L’idée chemine d’un plafonnement et d’un contrôle régional des arsenaux balistiques. L’Iran en accepte le principe, ainsi que celui d’un moratoire sur les programmes balistiques des parties aux négociations, si sont levées les sanctions américaines. Israël crée la surprise en laissant filtrer qu’il pourrait se joindre à la négociation, si l’Iran abandonne l’idée de pousser à la disparition de l’État hébreu. Téhéran fait alors savoir qu’il appuierait le principe d’un État fédéral, ou confédéral, dans lequel Juifs et Arabes disposeraient des mêmes droits. L’idée d’une conférence régionale prend forme, qui s’organiserait autour de quatre corbeilles : le balistique, le nucléaire, la question palestinienne, la coopération régionale. Au printemps 2027, la plupart des sanctions américaines rétablies en 2018 et renforcées au fil des ans sont suspendues, l’Iran obtient une trêve indéfinie de ses amis du Hezbollah et du Hamas, « la conférence de réconciliation régionale » s’ouvre à Beyrouth.

L’inattendu arrive

Les premiers mois, les discussions patinent. Mais pour l’Iran le résultat est là. La population, qui au cours des deux dernières années s’était montrée inquiète, rétive, se reprend à espérer et le gouvernement peut envisager avec optimisme les élections législatives du printemps 2028. S’il y obtient, ce qui paraît vraisemblable, une majorité pour le soutenir, il s’engage à accélérer les réformes pour faire entrer l’Iran, selon les propos du Président lui-même, « dans une nouvelle ère de la Révolution islamique ». Peu de gens prêtent alors attention aux propos d’une équipe de sismologues évoquant la proche éventualité d’un séisme dans la région de Téhéran. Au sortir cette épreuve majeure qui surviendra début 2029, l’Iran entrera en effet, et de façon radicale, dans une nouvelle époque.

La France, l’Europe

Durant les dix années écoulées, que s’est-il passé entre la France, l’Europe et l’Iran ? Par des accords de troc, de modestes circuits de financement sécurisé et l’utilisation des voies terrestres, les Européens sont parvenus à maintenir un flux d’échanges avec l’Iran, croissant avec le temps. Ils lui ont même permis d’écouler sous différents pavillons une partie de son pétrole. Les dispositions européennes, ajoutées au soutien de la Russie, de la Chine et de quelques autres pays, comme aux pratiques de contournement élaborées du côté iranien, sans oublier le maintien du prix du pétrole à un cours favorable aux producteurs, ont évité l’effondrement de l’économie iranienne. Le dialogue de l’Europe avec l’Iran est néanmoins resté difficile, comme d’ailleurs avec les Etats-Unis, et l’Europe s’est souvent divisée sur les conduites à tenir. La France, dans ce contexte, a joué sa partie, poussant à la mise en place de mesures palliatives à la politique de Washington, et tentant de faire évoluer les comportements iranien et américain. Elle s’est aussi efforcée, ce faisant, de ne pas dégrader sa relation avec les pays de la péninsule arabique. Sur ce terrain, les succès ont été mitigés, du moins jusqu’à la révolution de palais de 2022, appuyée par la rue saoudienne. Dès lors, le royaume wahhabite a adopté une ligne de conduite moins agressive à l’égard de l’Iran, a mis fin à la guerre du Yémen et s’est finalement rallié à l’idée d’une réconciliation régionale. Début 2028, Riyadh doit enfin décider de la construction de trois centrales électronucléaires. La France en espère sa part. Elle espère aussi, avec l’Allemagne, vendre à Riyadh au moins 300 exemplaires de leur nouveau char de combat construit en commun.

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