En accusant Barack Obama de mensonge dans les affaires
irako-syriennes (le Monde des 21-22
août), mon ami Jean-Pierre Filiu, observateur respecté du monde arabe, y va
cette fois-ci un peu fort. Certes, les chiffres de pertes jihadistes mis en
avant par le commandant américain de la coalition contre Da’esh ( 45.000 morts
en deux ans) sont tout-à-fait irréalistes, voire grotesques, comme l’a bien
relevé un rapport conjoint de deux commissions de la chambre des Représentants
américaine. Mais rien ne fait apparaître dans ce rapport, pourtant demandé et
approuvé par l’opposition républicaine, que la Maison-Blanche ait fait pression
sur la hiérarchie militaire pour en obtenir des statistiques flatteuses sur la lutte
contre Da’esh en Syrie et en Irak. Tout laisse présumer qu’il s’agit au
contraire d’une dérive bureaucratique classique où chaque échelon s’efforce de
complaire à l’échelon supérieur, au détriment, s’il le faut, de la réalité.
Rien à voir donc, contrairement à ce qu’avance Jean-Pierre Filiu, avec les
pressions exercées par George W. Bush et son entourage sur les organes
américains de renseignement pour en obtenir des informations justifiant leur
projet d’intervention en Irak. D’ailleurs ces chiffres de pertes jihadistes
avancés par la hiérarchie militaire n’ont jamais été repris par Obama lui-même.
Mais il est plus valorisant de s’en prendre directement au président des
Etats-Unis plutôt qu’à un lieutenant-général de l’armée américaine.
Jean-Pierre Filiu parle ensuite de « mensonges sur les
priorités », reprochant à Obama d’avoir donné la priorité à l’Irak sur la
Syrie. Mais il ne s’agit pas là de mensonge, simplement d’une controverse sur
un choix stratégique. « Accorder
la priorité à l’Irak sur la Syrie, c’est ne rien comprendre à la dynamique de
recrutement de Da’esh » nous dit-il. Peut-être, mais en disant cela, on ne
peut oublier le fait qu’en Irak les États-Unis viennent au secours d’un
gouvernement légitime, même s’il est fort imparfait, issu d’élections elles
aussi fort imparfaites, mais néanmoins d’élections libres. Et ce gouvernement a
expressément sollicité l’aide américaine. Situation plus aisée à gérer que
l’imbroglio syrien, où l’écrasement des Jihadistes favoriserait un régime
honni, et vice-versa. Et peut-on condamner le choix de chercher à libérer dès
que possible Mossoul, ville où un million d’habitants se trouve sous la férule
du soi-disant État islamique, peut-être même avant Rakka, « capitale »
du même « État », comptant au plus 200.000 habitants ?
Jean-Pierre Filiu nous parle enfin de « mensonge sur
les alliances ». Mais son analyse ne fait apparaître aucun mensonge
particulier, simplement la critique du choix américain de s’appuyer sur des
milices kurdes. Là encore, cela se discute. Les Américains ont fait le choix de
soutenir ce qu’ils ont trouvé de mieux organisé et de plus efficace. Choix à
courte vue peut-être, mais qui a quand même obtenu quelques succès, au point
d’ailleurs d’inquiéter en ce moment le régime de Damas.
Voilà qui dégonfle cette mise en cause décoiffante de Barack
Obama. Mais pourquoi cette vindicte ? Ce n’est pas trop s’avancer que de
discerner chez Jean-Pierre Filiu, comme chez beaucoup d’autres, le regret toujours
cuisant qu’en août 2013, le Président américain ait finalement renoncé à
utiliser la force pour punir radicalement Damas de son usage des gaz. L’on espérait
alors voir cette opposition modérée, courageuse, proche de nous, aussitôt
bondir pour prendre le pouvoir sur les décombres du régime. Mais le scénario
aurait pu tout aussi bien tourner au fiasco, ou au cauchemar. En 1998, Bill
Clinton avait déversé sur Bagdad, sur un palais de Saddam, et sur un certain
nombre de sites stratégiques quelque 600
bombes et 400 missiles de croisière. Rien n’avait bougé. En 2013, Obama s’est
vu offrir l’occasion d’obtenir sans coup férir le démantèlement du dernier
arsenal chimique significatif au monde, qui menaçait en permanence tous les
voisins de la Syrie… par exemple Israël. Peut-on lui reprocher de l’avoir
saisie ? Ou alors, toute cette montée d’émotion autour de l’usage d’armes
chimiques n’aurait-elle été qu’une façon d’obtenir l’élimination du tyran de
Damas ? Voilà un intéressant champ de recherche pour le jour plus apaisé
où s’ouvriront les archives de la période.
(paru le 24 août 2016 dans lemonde.fr)
Cher Monsieur,
RépondreSupprimermerci pour vos articles, toujours intéressants. Simplement une remarque, êtes-vous certain que c'est le régime de M. Al-Assad qui a perpétré l'attaque au gaz. Plusieurs observateurs semblent en douter :
http://www.comite-valmy.org/spip.php?article7518
Bien à vous,
Yves Balle