lundi 28 décembre 2009

La dignité d'un hôtelier

Je voyais l'autre jour à la télévision le propriétaire d'un hôtel familial à Saint-Michel- en-Grève, commune de Bretagne durement touchée par l'invasion des algues vertes, expliquant comment ses efforts pour moderniser et mettre en valeur son établissement se trouvaient à peu près ruinés par cette dangereuse prolifération qui faisait fuir sa clientèle. Il s'exprimait avec retenue, de façon factuelle, sans émettre de plainte, sans accuser personne, sans rien revendiquer. Mais on percevait le désarroi d'un homme faisant de son mieux son métier et frappé par une situation qui échappait à son contrôle. L'on voyait aussi à ses côtés, un peu en retrait, sa femme le fixant intensément, d'un regard traversé d'inquiétude, mais chargé également de respect et de confiance pour l'homme qui parlait ainsi et qui, dans cette passe difficile, la protégeait. Sans doute s'agissait-il d'une répartition de rôles assez traditionnelle. Mais tel qu'il se présentait dans sa vérité, le couple dégageait une très forte impression de cohésion dans l'adversité, et de grande dignité.

En cette catastrophe écologique, quelle accumulation d'aveuglements, de conjonctions d'intérêts, de petites et grandes lâchetés à tous niveaux de responsabilités a-t-il fallu pour placer ces deux personnes, et beaucoup d'autres, dans une telle difficulté? Bien sûr, l'on voudrait croire que tout le monde finira par s'en sortir. Mais l'on aimerait aussi que dans la ronde des destinées, les coquins se trouvent un peu moins souvent gratifiés de bénédictions et de prospérités. Encore que parmi ceux-là, l'on en rencontre rarement qui soient prêts à admettre qu'ils doivent leur fortune à autre chose qu'à leur talent, leur travail, leur supériorité naturelle.

A peu près dans cette veine, et pour ce qui est de la politique, Chateaubriand écrivait dans ses Mémoires d'outre-tombe : "En général, on parvient aux affaires par ce que l'on a de médiocre, et l'on y reste par ce que l'on a de supérieur. Cette réunion d'éléments antagonistes est la chose la plus rare, et c'est la raison pour laquelle il y a si peu d'hommes d'Etat." Talleyrand, fin connaisseur des arcanes du pouvoir, confiait aussi : "si les gens savaient par quels petits hommes ils sont gouvernés, ils se révolteraient... ". Pour ma part, si je peux me mettre dans le sillage de ces deux navires amiraux de la littérature et de la diplomatie, j’ai depuis longtemps dans l’idée que les structures hiérarchiques ne tiennent que parce qu'à chaque niveau dont elles sont composées, les gens, pour se protéger et protéger le système qui les fait vivre, dissimulent les tares des occupants de l'étage du dessus à ceux de l'étage inférieur. Et lorsque ce pacte du silence est rompu, la pyramide est minée de l’intérieur, la chute n’est plus très loin…Cela ne veut pas dire que tous les mauvais sont en haut et tous les bons en bas. Mais pour le moins, les gens ne sont pas meilleurs au fur et à mesure qu'ils s'élèvent, ils ne s'allègent pas de leurs défauts pour monter, comme ils devraient le faire s'ils étaient des ballons. Mais voilà, les hommes ne sont pas des ballons. Moi non plus d’ailleurs, ce qui me permet de souhaiter à mes semblables, avec quand même une attention particulière aux hôteliers de Saint-Michel-en-Grève, beaucoup de courage et surtout un peu de chance, en une bonne, en une aussi bonne que possible, prochaine année !

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