Le 22 avril, l’administration américaine a fait savoir qu’elle allait
mettre fin aux exemptions qui épargnaient à huit pays grands consommateurs de
pétrole iranien l’interdiction générale d’achat intervenue en novembre dernier
suite au retrait des États-Unis de l’accord nucléaire de Vienne. La décision
est entrée en vigueur le 2 mai. Elle vise expressément à réduire à zéro des
exportations essentielles à l’économie iranienne, et à convaincre ainsi Téhéran
de céder sur toutes les exigences de Washington touchant au nucléaire, au
balistique, aux droits de l’Homme, au rôle de l’Iran dans sa région. Témoignant
d’une certaine fébrilité, elle a créé inquiétude et surprise. Mieux vaudrait
pour tout le monde – Iraniens, cela va sans dire, mais aussi clients de
l’Iran, et même Américains --, qu’elle ne produise pas ses pleins effets.
La fébrilité
Depuis quelque temps, émergeait à Washington la frustration de constater
que le retour de ses sanctions, intervenu en deux vagues, août et novembre
2018, ne produisait aucun effet sur le gouvernement iranien. La population
souffrait, s’agitait même, mais rien qui mette en péril la République
islamique. Celle-ci maintenait sa posture de défi : pas question de
négocier avec une Amérique qui avait trahi sa parole, avant qu’elle ne s’excuse
et réintègre, précisément, l’accord de Vienne.
Cette absence de résultat, si elle se prolongeait, pourrait gêner Trump
dans sa campagne pour sa réélection : à peine une année à ce jour. D’où
l’idée d’augmenter la pression par une troisième vague de sanctions. Elle est
en cours : inscription des Pasdaran sur la liste des organisations
terroristes, durcissement des sanctions pétrolières, interdiction d’un certain
nombre de transactions dans le domaine nucléaire, interdiction d’acheter et de
vendre à l’Iran plusieurs types de métaux. Chacune de ses mesures a soulevé des
objections de bon sens au sein même de l’administration américaine, mais les
« faucons » l’ont emporté. Et pour faire bon poids, un porte-avions
américain, l’Abraham-Lincoln, se dirige en ce moment vers le Golfe
persique.
La surprise
Pour la Chine, l’Inde, la Corée du Sud, le Japon, la Turquie, en
particulier, la décision américaine de leur interdire tout achat de pétrole a
produit un choc, alors que ces pays étaient en négociation pour la reconduction
des exemptions dont ils avaient bénéficié. Le pétrole iranien est en effet
essentiel pour eux. Ils ont des raffineries formatées pour traiter le pétrole
lourd dont l’Iran est grand exportateur, leur adaptation à d’autres types de
pétrole coûtera cher et représente un redoutable défi à si bref délai. Quant
aux condensats, pétroles ultra-légers, dont l’Iran est également exportateur,
la Corée du Sud, en autres exemples, qui en est grand acheteur, pourra certes s’approvisionner
ailleurs, notamment aux États-Unis, mais, au vu de la distance, à un coût bien plus
élevé. L’affirmation de Donald Trump, selon laquelle le marché mondial
suppléerait aisément au tarissement des exportations iraniennes, laisse donc
subsister de sérieux problèmes pour les clients au premier chef concernés.
Pour les marchés aussi, cela a été la surprise. Les cours ont monté à
l’annonce de la décision américaine, puis sont retombés. Mais il n’est pas
certain qu’à moyen terme les marchés restent aussi placides que l’espère
Washington. Or toute hausse en 2020 du coût de l’essence à la pompe aux
États-Unis jouerait négativement pour la réélection de Donald Trump. Certes,
dans les sous-sols, et dans les réserves des uns et des autres, les ressources
sont là, mais s’ajuster aux besoins de chaque pays, type de pétrole par type de
pétrole, sans rupture d’approvisionnement ni hausse de coûts insupportables, est
une autre affaire, surtout dans une période d’incertitude générée par les
crises libyenne et vénézuélienne.
L’inquiétude
Il y a d’abord et avant tout l’inquiétude des Iraniens, voués à de
nouvelles et dures privations. Il y a l’inquiétude de tout le monde à l’idée
que cette montée de tension pourrait conduire à un conflit ouvert qui embraserait
le Golfe persique. Disons quand même que les navires de guerre américains ne
vont pas commencer à arraisonner les tankers iraniens sur toutes les mers du
monde. L’idée que le détroit d’Ormouz pourrait faire l’objet d’un blocus
-- acte de guerre en droit international --, soit des Américains soit,
en représailles, des Iraniens, ne vaut que pour les éditoriaux, ou les escalades
verbales. Les sanctions de Washington sur le pétrole ne s’appliquent pas aux
flux physiques mais aux transactions financières. C’est par ce biais que
peuvent être mis en quarantaine et punis dans leurs intérêts aux États-Unis les
clients de l’Iran et les banques qui leur apportent leur concours. C’est déjà
hautement dissuasif.
Il y a enfin l’inquiétude de tout le monde, Américains compris, à la
perspective de sérieux à-coups sur les marchés. Trump a indiqué que les grands
producteurs arabes, Arabie saoudite, Émirats arabes unis, lui avaient donné
l’assurance qu’ils combleraient l’effacement du pétrole iranien. Mais l’Arabie
saoudite est restée dans l’expectative. Elle juge en effet qu’elle a été dupée
lors de l’entrée en vigueur des sanctions américaines contre l’Iran en novembre
dernier. Pour répondre à une demande de Trump, elle avait aussitôt augmenté sa
production. Mais les exemptions américaines ensuite intervenues ont provoqué un
excédent d’offre sur les marchés, et donc une chute des cours. L’Arabie
saoudite ne veut pas être à nouveau instrumentalisée. Elle attendra la réunion
plénière de l’OPEP, les 25 et 26 juin prochain, pour tenter d’élaborer une
réponse coordonnée (mais pas unanime puisque l’Iran en fait partie, et fera
entendre sa voix).
Jusqu’où s’appliqueront les sanctions américaines ?
Déjà dans la période précédente, de
2012 à 2015, les Iraniens avaient mis en place des dispositifs élaborés de contournement
des sanctions américaines, alors appuyées par des sanctions européennes. Ils
les ont réactivés depuis novembre dernier et vont, bien entendu, chercher à les
perfectionner. Pour l’essentiel, ces dispositifs consistent d’abord à offrir de
fortes réductions de prix pour convaincre les clients potentiels de braver les
sanctions. Ils consistent ensuite à effacer l’origine iranienne de ce pétrole en
combinant la réduction de la traçabilité des tankers iraniens par la coupure de
leurs liaisons satellitaires, le transfert discret de leur cargaison sur des navires
d’autres nationalités ou dans des installations portuaires non surveillées,
enfin le maquillage des documents d’accompagnement. Quant aux paiements, ils
peuvent se faire par accords de troc, en monnaies exotiques, en liquide, ou
encore en métaux précieux. En ce qui concerne la Turquie voisine, les choses
sont encore plus faciles. Certes, tout ceci ne peut couvrir qu’une partie des ventes
de l’Iran, peut-être un quart ou un cinquième. Les Iraniens dont les
exportations de pétrole ont déjà été réduites de 30 à 50% depuis le retour des
sanctions, doivent donc se préparer à de nouvelles réductions.
Côté clients, les premières
réactions ont été plutôt retenues. La Chine, l’Inde, la Turquie évaluent leur
intérêt à résister à l’aune de leur relation globale avec l’Amérique. Le Japon,
la Corée du Sud ne désespèrent pas d’obtenir des exemptions discrètes. Les
Américains ne devraient pas s’interdire de faire quelques gestes, soit pour
faire baisser la tension sur les marchés, soit pour obtenir des gestes en
retour dans d’autres domaines : par exemple dans le cadre de leurs
négociations commerciales avec la Chine. Rien n’est encore joué.
*
Mais dans l’immédiat, l’urgence est
ailleurs. Elle est dans ce qu’il faut bien appeler une rafale de provocations
de l’Amérique, cherchant à pousser l’Iran à la faute : la première d’entre
elles étant une sortie de l’accord de Vienne qui débriderait son programme
nucléaire. Il deviendrait alors possible d’accuser la République islamique de
relancer la prolifération nucléaire au Moyen-Orient, et donc de mobiliser à
nouveau contre elle la communauté internationale. A vrai dire, le piège est
assez grossier, à l’image de son principal instigateur, John Bolton, conseiller
à la sécurité nationale auprès de Donald Trump, connu pour ses outrances et sa
brutalité. Le gouvernement d’Hassan Rouhani a vu où l’on voulait l’entraîner.
Jusqu’à présent, il a choisi d’être intelligent pour deux, et même pour trois
si l’on compte ses propres opposants prêts à en découdre avec l’Amérique. Dans
l’autre crise que vient de déclencher l’administration américaine en s’en
prenant au cœur des dispositions de l’accord nucléaire de Vienne, Rouhani a ainsi
opté pour une réponse soigneusement calibrée, qui laisse du temps et de
l’espace à la diplomatie. En cette passe difficile, il semble avoir fait sienne
la formule chinoise : « un combat évité est un combat gagné ».
Reste à espérer qu’il pourra s’y tenir.
(article paru dans Figaro Vox le 10 mai 2019)
(article paru dans Figaro Vox le 10 mai 2019)
L'or noir est en train de finir dans les réserves naturelles, il ne reste que très peu de réserves en USA, Canada, Afghanistan et Venezuela que le monde est en conflit pour la conquérir. USA trump est donc convaincue qu'il est temps pour faire la guerre en Iran pour conquérir le reste du pétrole dans ce monde.
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