mardi 3 novembre 2015

L’Iran, la Russie et les autres : vers une sortie de crise en Syrie

Sur l’insistance de la Russie, l’Iran a donc été admis à la table des négociations sur la Syrie. Il devenait de plus en plus paradoxal, si l’on voulait vraiment en sortir, de tenir à l’écart cet acteur incommode mais majeur, estimant avoir en cette affaire des intérêts vitaux. Du côté donc de Bachar el Assad, l’Iran et la Russie, et en face tous les autres, demandant le départ du même Bachar. Mais il y a des zones de compromis. Ni l’Iran, ni la Russie, ne se sentent liés à la personne même de Bachar. En revanche, ils ont toujours estimé que des puissances extérieures n’avaient pas à préempter une décision appartenant aux Syriens dans leur ensemble. Et tous deux craignent qu’un effondrement des institutions dans la foulée d’une élimination de Bachar et de son clan n’engendre un chaos où s’engouffreraient des monstres. Après les expériences irakienne et libyenne, c’est un point que les Occidentaux doivent pouvoir comprendre. Et puis, Moscou a entretenu avec Damas des relations étroites depuis des décennies. La Russie compte 20 millions de Musulmans. Et à vol d’oiseau, il y a entre les deux pays la distance Paris-Marseille.

Les cauchemars afghans de l’Iran et de la Russie

Quant à l’Iran, il y a un cauchemar qu’il ne veut pas éprouver. C’est une talibanisation de la Syrie. Il a déjà assez souffert des Talibans en Afghanistan. Il a en horreur l’idée que leurs équivalents puissent s’installer à demeure près de l’Irak et déstabiliser ce pays jusqu’à la frontière iranienne. C’est d’ailleurs le général pasdaran Souleymani, responsable des forces spéciales iraniennes intervenant en Syrie et en Irak, qui a convaincu personnellement Poutine qu’il fallait agir d’urgence s’il ne voulait pas voir l’armée syrienne, à bout de forces, s’effondrer.

Venant toujours d’Afghanistan, un autre cauchemar tourmente aussi les Russes. C’est celui de l’enlisement qu’ils y ont connu dans les années 1980. Déjà, il est visible que l’offensive terrestre des forces loyales à Bachar contre les rebelles qui mettent en péril l’axe vital Damas-Alep, n’a pas emporté les résultats escomptés, malgré l’appui massif de l’aviation russe. L’Arabie saoudite, le Qatar, la Turquie ont veillé, avec l’accord des États-Unis, à relever le niveau des armes fournies à l’opposition, avec en particulier des armes anti-blindés. L’impossibilité de remporter un succès décisif pousse donc tout le monde à la négociation. Poutine a préparé le terrain en convoquant Bachar à Moscou. Il lui a sans doute expliqué que l’aide russe avait un prix, qu’il devrait un jour payer. Du côté occidental, il est accepté qu’un départ de Bachar ne soit plus un préalable à un processus de transition, mais plutôt l’une de ses étapes, voire sa conclusion. Tout s’est donc récemment accéléré pour préparer les esprits à un accord.

D’abord réaffirmer les intégrités territoriales, ensuite chasser Da’esh

Il est au moins une question sur laquelle toutes les parties devraient s’entendre sans difficulté : c’est la protection de l’intégrité du territoire syrien. Ce point n’allait pas de soi, tant a été dénoncé l’artificialité des frontières tracées dans la région à l’issue de la première Guerre mondiale, en évoquant l’émergence inévitable, ici d’un Sunnistan, ailleurs d’un Kurdistan, ou encore d’un « réduit alaouite ». Tant en Syrie qu’en Irak, ce serait en vérité ouvrir une boîte de Pandore. La fixation des frontières de telles entités soulèverait la tentation de toucher à celles des pays voisins : Turquie, Iran. Elle ferait naître des conflits au moins aussi brûlants, et encore plus durables, que les conflits en cours. Ce serait enfin négliger qu'au cours d'histoires  tourmentées, s'est enraciné en Syrie comme en Irak un vrai sentiment national.

Et puis, il faudra bien s’attaquer ensemble à l’éradication de Da’esh, ou « Etat islamique ». Pour le moment, personne ne s’y est vraiment attelé. Certainement pas Bachar, qui trouve avantage à pouvoir dire qu’il existe au monde plus abominable que lui. Les Russes, eux, parant au plus pressé, ont surtout frappé ceux qui menaçaient le plus directement la « Syrie utile ». Ils ne voient aucune urgence à aller chercher Da’esh au cœur des déserts excentrés où il est installé. Quant à la coalition internationale montée et portée à bout de bras par les Américains, elle s’est jusqu’à présent limitée à une sorte de service minimum, sauf dans l’épisode de la défense de Kobané, en raison de sa charge symbolique. En Irak, elle ne cherche encore qu’à contenir Da’esh en attendant que l’armée irakienne et une mobilisation populaire au sein même des Sunnites soient en mesure de le chasser. En Syrie, les Américains ont veillé à ne pas s’attaquer aux oppositions radicales, d’ailleurs soutenues par leurs propres alliés : Arabie saoudite, Qatar, Turquie…, au point de renforcer la main de Bachar, ni en sens inverse de mettre Bachar en difficulté au point de faire miroiter la victoire aux rebelles. Là encore, ce sera à l’armée syrienne recomposée, et relégitimée par le départ de Bachar, de faire l’essentiel du travail. Il faudra, le moment venu, l’y aider, et constater déjà à Vienne que c’est la seule voie réaliste de sortie de crise.

(paru dans le Figaro du 2 novembre 2015)

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