mardi 19 novembre 2013

Une leçon de diplomatie

Si les ministres des affaires étrangères des pays concernés par la négociation nucléaire avec l’Iran étaient restés chez eux plutôt que de se précipiter à Genève le 8 novembre dernier, la dernière réunion aurait aisément pu être présentée comme un succès. A la fin de la session, les deux négociateurs en chef, Catherine Ashton pour les cinq membres permanents du Conseil de sécurité et l’Allemagne, Abbas Araqchi pour l’Iran, se seraient félicités en un communiqué commun des importantes avancées engrangées, et exprimé l’espoir d’atteindre, au prix d’efforts supplémentaires, un accord complet en une ou deux réunions.

De fait, il n’est pas habituel que des ministres se joignent à une négociation complexe avant que l’accord à atteindre ne soit pratiquement finalisé. Un ou deux points peuvent être éventuellement laissés à leur appréciation, s’ils se situent bien à leur niveau, qui est politique et non technique. Mais tel n’a pas été le cas début novembre à Genève. Déjà Zarif, le ministre iranien, était dès le début sur place. Puis Kerry, le secrétaire d’État américain, a pris la décision de bouleverser l’agenda de sa tournée au Proche-Orient pour voler vers Genève. Mais à ce moment, le projet d’accord contenait encore des formules entre crochets, portant sur des points cruciaux.

Pourquoi donc un tel choix ? Peut-être a-t-il relevé de la seule initiative de John Kerry. Peut-être Catherine Ashton, ou la délégation américaine, ou les deux ensemble, l’ont-ils convaincu qu’il était temps pour lui de venir, l’accord étant proche d’être conclu. Dans tous les cas il y a eu erreur d’appréciation, alliée à un excès de confiance dans la capacité américaine à emporter la décision. Peut-être aussi l’accord avait-il été effectivement finalisé, mais les Français seraient revenus de façon inattendue sur leur soutien. Ceci aurait été une grave faute de comportement. Rien pour le moment n’est venu étayer cette hypothèse.

A partir de là, tout ne pouvait aller que de mal en pis. La simple annonce de l’arrivée de Kerry soulevait aussitôt une vague d’espoir faiblement étayé. Informés de la décision de Kerry, les ministres européens se sont crus obligés de courir à Genève, ne serait-ce que pour rester dans le jeu. Pressés par une foule de journalistes, les ministres présents étaient dans l’obligation de parler pour exister. La plupart d’entre eux se sont limités à des déclarations de tonalité optimiste. Seul Laurent Fabius a choisi la voie opposée. En rompant la règle de confidentialité qui avait été adoptée pour ces négociations, en laissant paraître son irritation devant la tournure des évènements, il devenu une sorte de paratonnerre, attirant la foudre de toutes les frustrations générées par le fossé existant entre les difficultés pratiques de la négociation et les attentes du public. Et l’arrivée au dernier moment des ministres russe et chinois n’y pouvait rien changer. La négociation a donc pris l’allure d’un échec.

S’il y a eu erreur du côté français, cela a été de se laisser enfermer dans le rôle d’empêcheur de tourner en rond. Ou était-ce, comme on l’a beaucoup écrit, un choix délibéré en faveur des intérêts français en Israël et dans la Péninsule arabique ? L’histoire le dira. Mais s’il s’agissait d’intérêts en cette affaire, la France aurait plutôt choisi de se positionner en meilleure amie de l’Iran, et plaidé à haute voix pour une rapide levée des sanctions. Car c’est là un marché de 75 millions de consommateurs, de loin le plus important de la région, privé par les sanctions de biens et d’équipements de pointe. C’est là que la France pourrait vendre du jour au lendemain au moins une ou deux centrales nucléaires et trois ou quatre douzaines d’Airbus. C’est là qu’elle pourrait à nouveau produire des centaines de milliers de voitures, reprendre l’exploitation de champs pétroliers et gaziers majeurs, et même contribuer à la remise à niveau d’un système de défense obsolète.


Revenons à la diplomatie. Dans le temps, lorsque des négociateurs désignés par leurs gouvernements respectifs parvenaient à un accord sur un texte commun, il était d’usage qu’ils y apposent leur paraphe. Ceci marquait la fin de la négociation. Il appartenait ensuite aux gouvernements concernés d’approuver ou de rejeter le texte, sans plus pouvoir le modifier. S’il était approuvé, il pouvait alors être signé, par exemple au niveau des ministres des affaires étrangères, dotés de pouvoirs permanents en matière de conclusion d’accords internationaux. Tout ceci se passait évidemment avant les téléphones portables et les avions gouvernementaux prêts à transporter les ministres d’un bout à l’autre de la planète. Mais les participants à la négociation nucléaire en cours auraient sans doute intérêt à garder en tête au moins l’esprit de ces procédures éprouvées. Ils pourraient en avoir besoin au long du rude parcours qui les attend. Car cette négociation complexe devra encore franchir de difficiles étapes, au-delà du premier accord qui pourrait être, avec un peu de chance, signé dans les jours prochains à Genève.

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