L’on devine dans les admirateurs de la démarche de Wikileaks comme une quête du Graal, qui expliquerait enfin le bruit et la fureur du monde. Curieusement, ce combat pour une transparence totale flatte les mêmes attentes que les faussaires du Protocole des Sages de Sion ou les producteurs d’élucubrations sur les vrais auteurs du 11 Septembre. Mais à ce jour, malgré les milliers de télégrammes publiés, les amateurs de théories du complot en sont pour leurs frais. La partie immergée de l’action diplomatique se révèle de même nature que sa partie visible.
Sur les affaires du Moyen-Orient, par exemple, qui nourrissent beaucoup des télégrammes parus, chacun se comporte à peu près comme on l’imaginait déjà à la lecture de la presse. Israël pousse les États-Unis à intervenir en Iran avant qu’il ne soit trop tard, les Français s’activent à la pointe du combat pour faire plier Téhéran, Washington, entre la main tendue d’Obama et une administration creusant le sillon des sanctions, souffle le chaud et le froid et théorise sa difficulté à choisir sous le nom de « double approche ».
Certains télégrammes peuvent être cités en modèles de clarté et d’honnêteté intellectuelle. Ainsi celui qui rapporte une réunion d’experts russes et américains en prolifération balistique, tenue fin 2009. Les Russes y détaillent longuement leurs doutes sur l’importance et sur l’urgence des menaces nord-coréenne et iranienne, telles que décrites du côté américain. Ils écartent en particulier l’idée que l’Iran aurait acheté à la Corée du Nord 19 missiles dits BM 25, capables d’atteindre l’Europe, rappelant qu’aucun test de ce missile n’a été jusqu’alors observé. Mais à l’issue de la lecture, chacun est laissé libre de sa conviction.
Une conclusion plutôt inattendue aboutit à l’utilité des ambassades, comme le démontrent, entre autres, les excellentes analyses produites par les diplomates américains à Paris. A contrario, la pauvreté des informations américaines sur la situation en Iran est clairement due à l’absence de relations entre les deux pays. Cette carence conduit parfois à de sérieuses erreurs d’appréciation. Le Département d’État se prend ainsi à espérer que les slogans anti-américains vont disparaître des rues de Téhéran. Une ambassade américaine voisine de l'Iran rapporte sans recul la rumeur de la mort prochaine du Guide de la Révolution, victime d’un cancer en phase terminale.
De fait, dans la masse des télégrammes publiés, seuls quelques-uns font scandale. Il s’agit des instructions d’Hillary Clinton enjoignant à ses diplomates de participer à la collecte d’informations personnelles et confidentielles sur leurs interlocuteurs. Il y a là une atteinte grave à l’éthique de la fonction diplomatique. Je peux témoigner qu’en quarante ans de métier, je n’ai jamais reçu d’instructions de ce genre. A vrai dire, il semble plutôt s’agir d’une corvée imposée par d’autres au Département d’État. Les télégrammes en question sont longs, ennuyeux et fortement stéréotypés. De telles circulaires sont d’ordinaire classées dès que reçues. J’imagine mal nos collègues américains lisant par-dessus nos épaules nos codes de carte de crédit. Je leur fais donc confiance pour avoir oublié d’appliquer pareilles directives.
Reste ce qui a le plus embarrassé les uns et distrait les autres, à savoir les jugements de valeur, les portraits et les propos à l’emporte-pièce rapportés par de nombreux télégrammes. L’on touche là au cœur de la fonction diplomatique. Il serait dommage que, sous le choc de l’accident Wikileaks, s’appauvrisse cet travail d’éclaireur indispensable aux décideurs politiques. Le rédacteur, pour livrer en toute tranquillité son effort personnel de traque de la vérité des personnes et des situations, doit en effet être assuré qu’il ne sera lu que par ses seuls correspondants. De même, ses interlocuteurs, pour parler en liberté, doivent se sentir protégés. En l’occurrence, c’est le secret, et non la transparence, qui garantit la qualité et la sincérité des échanges. La capacité à parler vrai, mais aussi à protéger l’information reçue, forme la double trame de la confiance mutuelle. L’émotion passée, et les plaies refermées, l’affaire Wikileaks, si elle reste isolée, aura eu le mérite de rappeler ces évidences.
" Il s’agit des instructions d’Hillary Clinton enjoignant à ses diplomates de participer à la collecte d’informations personnelles et confidentielles sur leurs interlocuteurs. Il y a là une atteinte grave à l’éthique de la fonction diplomatique. Je peux témoigner qu’en quarante ans de métier, je n’ai jamais reçu d’instructions de ce genre. A vrai dire, il semble plutôt s’agir d’une corvée imposée par d’autres au Département d’État."
RépondreSupprimerPersonnellement, je doute que beaucoup d'autres pays aient la même pudibonderie vis-à-vis du renseignement que les français. Et je subbodore que les informations personnelles recherchées ne sont pas les codes de CB, mais plutôt avec qui les gens travaillent, comment va leur vie, s'ils ont des difficultés, toutes choses qui peuvent être utiles. Savoir qu'un interlocuteurs a des difficultés personnelles le fragilise, et le rnd moins fort dans une négociation.
Mais bon, comme le montre l'affaire Renault, l'espionnage et le renseignement ne sont que pour les méchants, les nobles français ne pratiquent pas ce sport sale.... On voit les résultats.