Mon ami Marc Bressant vient de sortir un roman aux éditions de Fallois, La dernière conférence. On se souvient de son drôlatique premier roman, Mémoires d'un vieux parapluie, racontant l'histoire d'un président de la République s'ennuyant tellement dans son rôle qu'il finissait par mettre la clef sous la porte et disparaître sous d'autres cieux. La garde rapprochée du président d'alors avait cru discerner, bien à tort d'ailleurs, quelque ressemblance entre le héros du livre et leur idole. On ne badinait alors pas plus qu'aujourd'hui avec ce genre du choses et ceci n'avait pas simplifié la carrière du diplomate qui se cachait à peine sous le nom de plume précité, et qui cachait encore moins son ancrage à gauche. Mais comme on le sait, les coups les plus durs viennent de son propre camp.
La dernière conférence décrit de façon tout aussi amusée, et amusante, l'une de ces conférences Est-Ouest issues des accords d'Helsinki, qui commence au 1er octobre 1989 dans l'affrontement des deux Blocs et s'achève dans le joyeux désordre déferlant sur l'Europe au moment de la chute du Mur. Le héros du roman y apparaît d'abord sous les traits d'un diplomate désabusé avant de se prendre au jeu, au jeu de la conférence... et aussi aux jeux de l'amour. Ceux-ci lui coûteront d'ailleurs cher, mais l'on se situe déjà après la fin de l'histoire.
Ceux qui ont vécu l'époque dans les chancelleries et les ministères retrouveront cette étrange atmosphère où l'on entrait dans l'avenir à reculons : tout ce qui survenait paraissait incroyable, voire lourd d'incertitudes et de dangers. Le monde que l'on quittait paraissait au fur et à mesure que l'on s'en éloignait paré de vertus croissantes. Selon les termes employés par notre président de la République en 1996 devant ses ambassadeurs, il était "critiquable mais lisible". Que de nostalgie dans cette formule!
Pour revenir à la conférence de Marc Bressant et à nos interrogations sur la crise actuelle, voici un passage sortant de la bouche d'un diplomate tchèque :
"Une chose au moins est incontestable : de par notre existence et de par celle de nos chevaux de Troie comme vous avez si longtemps appelé les partis communistes qui existaient chez vous, nous avons été un paratonnerre contre la logique folle de votre système capitaliste. A cause de nous, vos gouvernements ont été obligés de mettre de plus en plus d'eau dans leur vin. Ils ont fini par donner des droits et du pouvoir d'achat aux travailleurs, et par imposer des limites aux exigences des entrepreneurs. Ce serait un peu exagéré de dire que vous nous devez vos "Trente Glorieuses", mais nous n'y sommes pas tout à fait pour rien...
Bon, très vite sans doute nous allons devenir vos clones. La perestroïka, le multipartisme en Pologne et en Hongrie, les manifestations chez moi, en RDA et jusqu'en Bulgarie – il faut le faire quand même! – sonnent la débandade. Le Mur est tombé sur le modèle socialiste tout entier.
Mais il faut que, vous aussi, vous le sachiez : il n'y aura plus désormais de statue du commandeur pour obliger vos capitalistes à faire la part du feu. Le monde va entrer de nouveau dans l'ère des Krupp, Wendel et autres Bata avec toutes les tribulations qui en résulteront, les crises genre 1930 et, comme l'a montré Lénine avec une clairvoyance qu'on ne saurait lui refuser, leurs inévitables corollaires, les guerres coloniales, européennes et autres."
Pas mal vu, non, en regard de ce que nous vivons depuis quelque temps?
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