"Quand je lis la presse, je tombe parfois sur des aberrations. Prenez cette affaire du SMS, c'est quand même extraordinaire. La personne qui prétend avoir ce SMS, on ne lui demande pas d'en apporter la preuve, et à moi on me demande de prouver que je ne l'ai pas envoyé. Cherchez l'erreur..." (Nicolas Sarkozy, le Point, 3 juillet 2008).
Cette erreur est bien connue en droit, en rhétorique et en logique. C'est le renversement indû de la charge de la preuve. La charge de la preuve incombe, sauf exception, à l'accusateur, et non à l'accusé ou au défendeur. A plus forte raison lorsqu'il s'agit de prouver l'inexistence de quelque chose, ce qui est la chose la plus difficile qui soit : par exemple, l'inexistence d'un SMS, ou encore l'inexistence du monstre du Loch Ness.
On se souvient de Rumsfeld en 2002, parlant de Saddam : "il est étonnant que certains veuillent nous faire assumer la charge de la preuve. Cette charge lui revient, c'est à lui de prouver qu'il a désarmé, qu'il ne pose plus de danger pour la paix et la sécurité".
Et aussi de Colin Powell devant le Conseil de sécurité : "le Conseil a placé sur l'Irak la charge de prouver qu'il obéit et désarme. Ce n'est pas aux inspecteurs de trouver ce que l'Irak s'est employé si longtemps à dissimuler. Les inspecteurs sont des inspecteurs, ce ne sont pas des détectives."
Le même raisonnement s'applique depuis quelques années à l'Iran. Après Américains et Britanniques, Angela Merkel, en 2007, déclarait ainsi devant l'Assemblée générale des Nations Unies :"le monde n'a pas à prouver à l'Iran que l'Iran est en train de fabriquer une bombe atomique. L'Iran doit convaincre le monde qu'il ne veut pas la bombe."
Quant à la Maison Blanche sa conviction reste entière. Il y a quelques jours encore, sa porte-parole, interrogée sur l'appartenance de la Corée du Nord et de l'Iran à "l'axe du mal" répondait :"Tant que ces pays n'auront pas abandonné leurs programmes nucléaires militaires de façon complète et vérifiable, je pense que nous les maintiendrons dans la même catégorie." Et le Sénateur Obama, de passage à Paris, n'est pas de reste :"l'Iran doit abandonner son programme militaire nucléaire."
Voici enfin Nicolas Sarkozy au début du mois, lors de sa conférence de presse commune avec Bachar el Assad, oubliant sans doute la mésaventure du SMS :"Le président Bachar Al Assad s'en tient à la déclaration des autorités iraniennes sur le fait qu'ils n'ont pas la volonté d'accéder à cette arme... Alors, nous demandons à la Syrie de convaincre l'Iran d'en apporter les preuves, pas les intentions, mais les preuves."
Mais n'a-t-on pas parfois le droit de transférer la charge de la preuve? Oui, selon la jurisprudence et la doctrine, lorsque l'accusation dispose déjà de fortes présomptions. Compte tenu de leur comportement passé et des graves soupçons qu'il avait fait naître, il était peut-être légitime de demander cela à l'Irak, et de le demander aujourd'hui à l'Iran.
Mais, sur ce premier glissement, surgit la question subsidiaire bien connue des logiciens et des juristes : où fixer le niveau des preuves demandées, et le délai acceptable pour les fournir? pour prouver l'inexistence du monstre du Loch Ness, suffit-il de démontrer la fragilité des témoignages de son existence, ou faut-il assécher le lac, et en combien de temps? C'est en plaçant volontairement la barre très haut, on s'en souvient, que les Américains se sont ouvert la voie de l'Irak.
Qu'en est-il de l'Iran? les déclarations de l'Agence internationale de l'énergie atomique selon lesquelles ses inspecteurs n'ont pas détecté à ce jour de détournement à des fins militaires de ses activités nucléaires n'ont pas effacé les préventions de l'Occident. Car, compte tenu de plusieurs zones d'ombre, l'Agence souligne en même temps qu'"elle n'est pas encore en position de déterminer la nature complète du programme nucléaire iranien". Et puis, pour en avoir le coeur net, il faudrait pouvoir passer au peigne fin un pays grand comme cinq fois la France. Seul un aveu de l'Iran permettrait, à vrai dire, de s'en sortir. Mais cet aveu ne veut pas venir.
Alors, faute d'y voir clair sur le passé et le présent, l'on cherche au moins des garanties pour l'avenir. C'est un autre glissement. L'Iran doit s'engager, non seulement à ne pas se doter de la bombe, ce qui est en effet la moindre des choses, mais à ne pas détenir les moyens qui lui permettraient de l'acquérir. On lui demande donc de renoncer à la technologie de la centrifugation, qui peut en effet déboucher sur l'acquisition d'uranium hautement enrichi, à capacité explosive.
Mais l'Iran considère qu'il serait alors entraîné très au-delà des obligations du Traité de non-prolifération, les seules qu'il se reconnaisse. Et donc il se rebiffe. Les pressions multiples exercées sur lui depuis maintenant cinq ans paraissent inopérantes. D'où l'ultime glissement, qui est la tentation de faire justice soi-même, de trancher le noeud gordien en détruisant les installations nucléaires iraniennes. Mais comment détruire des installations clandestines, que par définition l'on ne connaît pas? Il faudra donc se rabattre sur les installations régulièrement déclarées auprès de l'Agence internationale de l'énergie atomique, et où aucune infraction n'a été relevée par ses inspecteurs. Cette éventualité n'est pas en cet instant sur le devant de la scène, mais peut à tout moment y revenir. Et voilà comment – pressions d'un côté, dérobades de l'autre –, l'on en vient des deux côtés à "se préparer au pire"...
Analyse -comme toujours- très éclairante qui prend en compte beaucoup de sous-jacents dans cette discussion de 5 ans.
RépondreSupprimerUne franche "explication de texte" publique devrait être faite avec patience, détails et objectivité.
On semble être de plus en plus -avant décisions graves et irréversibles- dans "le temps des pressions et des dérobades" permettant à chacun de se donner raison et bonne conscience.
Dommage et quel gâchis.
Merci encore.