L'Iran au plus fort du régime taliban a accueilli près de deux millions d'Afghans. C'était alors le pays au monde qui avait sur son sol le plus grand nombre de réfugiés étrangers. Avec la chute de ce régime, l'Iran a naturellement poussé les Afghans à rentrer chez eux. Il y a eu de fortes résistances, car beaucoup s'étaient intégrés dans leur pays d'accueil. Les oppositions les plus tenaces sont venues des femmes. Pour elles, l'Iran était un paradis! elles sortaient à peu près à leur guise dans la rue, et se promenaient à visage découvert. Leurs maris avaient appris à les aider à la maison, à faire les courses avec elles, et même à porter les paquets! et leurs filles allaient à l'école... Dans les familles qui sont finalement rentrées, de nombreux drames se sont déclenchés, précisément du côté des femmes qui ne supportaient pas, soit de retrouver leur mode de vie antérieur, soit, pour les plus jeunes, de devoir s'adapter à des contraintes qu'elles n'avaient jamais subies et qui leur paraissaient insupportables.
Cette oppression très réelle des femmes (qui s'étend d'ailleurs en Afghanistan bien au-delà de la seule zone contrôlée par les Talibans) justifie-t-elle, comme ont tenté de nous en convaincre récemment notre Président et notre Premier Ministre, l'intervention en cours? "Femmes martyrisées" a dit le Président à Bucarest. "En 1996, une femme afghane est condamnée à avoir le pouce tranché pour avoir porté du vernis" a rappelé le Premier Ministre à l'Assemblée nationale. Régime "moyen-âgeux" auquel nous n'avons rien à dire, a souligné le Président à la télévision. Nous nous battons pour des valeurs, a bien insisté le Premier Ministre, pas pour du pétrole. C'était déjà à peu près les arguments de Georges Marchais lorsqu'il justifiait l'intervention soviétique en Afghanistan par le "droit de cuissage" encore pratiqué par un "régime féodal".
En somme, et tout ce que nous avons récemment entendu y converge, nous ne sommes pas engagés dans une guerre, -c'est bien ce qu'a dit le Président de la République à la télévision- mais dans un combat civilisateur. Hélas, le discours répandu, jusque dans ses accents les plus martiaux -"est-ce qu'on se couche?"- se situe par un malheureux hasard dans le droit fil du discours colonialiste le plus éculé. Déjà la conquête de l'Algérie était une "pacification", "un combat pour la civilisation". Déjà la guerre d'Algérie, la deuxième, celle du XXème siècle, n'avait pas le droit d'être appelée une guerre. L'on combattait une poignée de rebelles tenant une population en otage. C'est exactement ce que Nicolas Sarkozy a expliqué à Hamid Karzai lorsqu'ils se sont retrouvés au sommet de l'OTAN : "nous faisons la guerre à une bande de terroristes qui qui ont pris le contrôle de votre pays, nous ne faisons pas la guerre aux Afghans."
Mais alors il faut aller jusqu'au bout du raisonnement. Mission civilisatrice? chiche, mais on ne "civilise" pas une population en quatre ou cinq ans. Du temps d'avant les Talibans, rappelait je ne sais qui avec une certaine nostalgie, l'on pouvait voir des mini-jupes à Kaboul. Si c'est l'accès à ce type de droit que nous visons, et pour toutes les femmes afghanes, il n'est plus possible de dire, comme le Président : "nous devons mettre le paquet, et ensuite rentrer chez nous". Organisons-nous pour rester là au moins une génération, et si possible deux ou trois. Mettons le paquet, pour parler comme notre Président, pour une colonisation, une vraie colonisation, comme au bon vieux temps.
Belle démonstration !
RépondreSupprimerLes justifications "morales" du président pour faire la guerre en Afghanistan démontrent une manière de penser typiquement coloniale. Les implications sont immenses et difficiles à prévoir, toutefois l'issue d'une aventure coloniale est évidemment connue d'avance.
L'histoire du pouce coupé parce que l'ongle était verni est analysée dans cet article de Christian Salmon :
Le paradoxe du sarkozysme