Je crois intéressant de diffuser la réponse à mon dernier papier que je viens de recevoir de mon ami Georges Le Guelte, fin connaisseur des affaires nucléaires et de prolifération.
"D'accord avec ton message sur le discours de Sarkozy à Cherbourg, bien que je sois moins indulgent que toi à son égard. La seule mesure nouvelle qu'il ait annoncée est en effet la réduction du nombre d'avions et de têtes. Pour le reste, il s'est contenté de gommer quelques-unes des élucubrations les plus ridicules du discours de Chirac le 19 janvier 2006, telles que l'idée d'inclure l'approvisionnement en hydrocarbures parmi les intérêts relevant de la dissuasion nucléaire.
En particulier pour ce qui concerne le désarmement, il se borne à reprendre le discours le plus traditionnel : nous avons donné l'exemple, et maintenant nous ne bougerons plus avant que les autres aient fait les mêmes gestes que nous. Comme position de négociation, c'est de bonne guerre, et il serait peu avisé, me semble-t-il, de faire du désarmement unilatéral sans rien demander aux autres. Mais comme tu le soulignes, j'aurais aimé qu'il réponde à Gordon Brown et le soutienne. Je crains qu'il ne le fasse pas plus lors de sa visite à la reine.
Cela dit, je regrette aussi qu'il redonne un intérêt au TICE (traité d'interdiction complète des essais) et à la convention d'interdiction de la production de matières fissiles militaires, deux traités qui n'ont aucun intérêt pour personne. Exiger qu'ils soient ratifiés par les autres pays avant d'accepter de nouvelles mesures de désarmement revient à dire que l'on refuse toute nouvelle négociation, puisqu'on sait très bien que le Sénat américain ne les ratifiera pas.
En revanche, mille fois d'accord avec toi sur le silence du PS, mais on pourrait en dire autant s'agissant de l'envoi de nouvelles troupes en Afghanistan. Que vont-elles y faire? Combattre le terrorisme-international-équipé-d'armes-de- destruction-massive-et-de-missiles-balistiques? Ou essayer de reconstituer une société? Et dans ce cas, les militaires ne devraient-ils pas être accompagnés de spécialistes civils de toutes sortes, y compris des ingénieurs pour construire des infrastructures collectives, etc...
Dans ma naïveté, je pensais que la décision d'envoyer de nouvelles troupes nous donnait un moyen de négocier sur les objectifs et le calendrier de l'OTAN en Afghanistan. Espère-t-on autre chose qu'une nouvelle invitation à déjeûner avec Bush? Sur ce sujet aussi, le PS aurait pu dire des choses, d'autant qu'à ma connaissance, il n'y a pas eu le moindre débat au Parlement sur le sujet. Si le PS n'est pas capable de dire quoi que ce soit sur la présence de troupes françaises en Afghanistan, du moins aurait-il pu exposer sa conception de la démocratie."
actualité politique, vie internationale, coopération culturelle et aide au développement, français de l'étranger.
jeudi 27 mars 2008
lundi 24 mars 2008
Nicolas, le "Terrible" et le Parti socialiste
Notre Président vient de s'exprimer à Cherbourg sur le format et l'avenir de notre force nucléaire. Il a aussi abordé les questions de désarmement.
Dans le fil de mesures prises par ses prédécesseurs, il a ainsi annoncé que le nombre d'armes, de missiles et d'avions de la composante aérienne de notre force de dissuasion serait réduit d'un tiers. Le nombre d'avions tombera donc à quarante. Il précise que la force française sera alors dotée au total de moins de trois cents têtes nucléaires. Elle en avait à peu près sept cents à la fin de la Guerre froide.
Il a aussi lancé quelques initiatives en matière de contrôle des arsenaux et de désarmement : invitation d'inspecteurs internationaux à constater le démantèlement des sites français de production de matières fissiles militaires (Pierrelatte et Marcoule), invitation à toutes les puissances dotées de l'arme nucléaire à adhérer au traité d'interdiction complète des essais et à démanteler leurs sites d'essais, invitation aux cinq puissances nucléaires militaires reconnues par le Traité de non prolifération à mettre au point des mesures de transparence, appel à l'élaboration d'un traité mettant fin à la production de matières fissiles militaires et moratoire immédiat sur leur production. D'autres idées ont été également lancées en matière de désarmement balistique.
Il faut sur ces différents points décerner à notre président un satisfecit, même si l'élève Sarkozy peut mieux faire. Dommage qu'il n'ait pas osé rejoindre Gordon Brown, qui s'est formellement engagé à faire ses meilleurs efforts pour présenter à la prochaine conférence d'examen du Traité de non prolifération nucléaire, en 2010, un dispositif de contrôle mutuel des arsenaux nucléaires ayant comme objectif affiché de parvenir un jour à leur démantèlement complet.
Non, ce qui est un peu triste en cette affaire c'est le silence de la gauche française, et notamment du Parti socialiste. Pourquoi, depuis qu'il est dans l'opposition, et notamment depuis l'arrivée de Nicolas Sarkozy, n'a-t-il pas présenté sa propre vision des choses? Où est passé le souvenir de sa longue tradition de soutien au désarmement? Où sont ses dirigeants et ses experts? Pourquoi n'avoir pas devancé les propositions de notre président alors que chacun savait qu'il allait prendre la parole sur ces affaires? Serions-nous à ce point satisfaits de nos victoires locales que nous ayons perdu toute ambition d'avoir des idées novatrices sur de grands sujets?
Dans le fil de mesures prises par ses prédécesseurs, il a ainsi annoncé que le nombre d'armes, de missiles et d'avions de la composante aérienne de notre force de dissuasion serait réduit d'un tiers. Le nombre d'avions tombera donc à quarante. Il précise que la force française sera alors dotée au total de moins de trois cents têtes nucléaires. Elle en avait à peu près sept cents à la fin de la Guerre froide.
Il a aussi lancé quelques initiatives en matière de contrôle des arsenaux et de désarmement : invitation d'inspecteurs internationaux à constater le démantèlement des sites français de production de matières fissiles militaires (Pierrelatte et Marcoule), invitation à toutes les puissances dotées de l'arme nucléaire à adhérer au traité d'interdiction complète des essais et à démanteler leurs sites d'essais, invitation aux cinq puissances nucléaires militaires reconnues par le Traité de non prolifération à mettre au point des mesures de transparence, appel à l'élaboration d'un traité mettant fin à la production de matières fissiles militaires et moratoire immédiat sur leur production. D'autres idées ont été également lancées en matière de désarmement balistique.
Il faut sur ces différents points décerner à notre président un satisfecit, même si l'élève Sarkozy peut mieux faire. Dommage qu'il n'ait pas osé rejoindre Gordon Brown, qui s'est formellement engagé à faire ses meilleurs efforts pour présenter à la prochaine conférence d'examen du Traité de non prolifération nucléaire, en 2010, un dispositif de contrôle mutuel des arsenaux nucléaires ayant comme objectif affiché de parvenir un jour à leur démantèlement complet.
Non, ce qui est un peu triste en cette affaire c'est le silence de la gauche française, et notamment du Parti socialiste. Pourquoi, depuis qu'il est dans l'opposition, et notamment depuis l'arrivée de Nicolas Sarkozy, n'a-t-il pas présenté sa propre vision des choses? Où est passé le souvenir de sa longue tradition de soutien au désarmement? Où sont ses dirigeants et ses experts? Pourquoi n'avoir pas devancé les propositions de notre président alors que chacun savait qu'il allait prendre la parole sur ces affaires? Serions-nous à ce point satisfaits de nos victoires locales que nous ayons perdu toute ambition d'avoir des idées novatrices sur de grands sujets?
mardi 18 mars 2008
Les États malins dans la mondialisation
Dans la foire d'empoigne de la mondialisation, les pays qui s'en sortent le mieux sont encore ceux qui ont des Etats malins.
On a déjà vu dans la seconde moitié du XXème siècle comment les États d'Asie, Japon et Corée du Sud en tête, ont appuyé leur développement sur la protection féroce de leurs marchés intérieurs, tout ceci dans le non-dit d'ailleurs, puisqu'ils n'ont jamais mis en cause les règles d'ouverture à la concurrence prônées dans les vertueuses enceintes internationales. On voit encore aujourd'hui comment les pays les plus développés, États-Unis, Europe, Australie, protègent leurs agricultures, quitte à inonder le monde de surproductions entrant en concurrence avec les productions locales.
On a vu que les États qui ont le mieux résisté à l'éclatement de la bulle financière asiatique de la fin des années 1990 sont ceux qui ont pris soin d'ignorer les injonctions du FMI. A juste titre, puisque le FMI a reconnu, des années plus tard, qu'il avait prodigué en cette circonstance de mauvais conseils.
De même le catéchisme néo-libéral de la Banque mondiale, appuyé sur l'idéal de l'Etat minimum et la méthodologie des "ajustements structurels", a produit en Afrique des désastres économiques, par exemple avec le démantèlement de filières nationales de production cotonnière. Sur le plan social, on a vu aussi les conséquences négatives de l'affaiblissement des systèmes nationaux d'éducation sous l'effet du "dégraissage" des effectifs. Là encore, la Banque mondiale a fait acte de repentance, mais un peu tard...
Ceci ne veut pas dire que protectionnisme et socialisme sont la garantie du développement. Le protectionnisme, quand il sert les intérêts d'oligarchies mondialisées, comme on les trouve en Amérique latine ou en Afrique, crée des niches de confort qui n'apportent rien au pays, bien au contraire. Quant au socialisme, quand il n'est que l'habillage de régimes populistes et autoritaires, il plombe lui aussi les chances de développement.
Non, tout démontre que les "success stories" du développement partent de l'analyse lucide des atouts et des handicaps d'un pays, puis de la définition de stratégies ad hoc, sans se laisser influencer par les bons apôtres extérieurs. Cet atout peut être ici une population industrieuse, ailleurs l'abondance de telle ou telle matière première ou source d'énergie, ailleurs encore le soleil et les plages qui permettront d'attirer les touristes, ou même le bon emplacement sur la carte du déplacement des gens et des marchandises. C'est en somme l'exploitation raisonnée du différentiel d'un pays donné dans le jeu mondial de la concurrence ou simplement, comme l'aurait dit Adam Smith, de la division du travail. C'est enfin la distribution astucieuse des fruits de la croissance, en vue d'injecter juste assez de prospérité parmi le plus grand nombre, tout en facilitant les nouveaux investissements, gages des résultats futurs.
Il y a quelques années, le discours à la mode portait sur l'affaiblissement des Etats face à la montée sur la scène internationale d'acteurs non-étatiques, des maffias aux ONG, en passant par les entreprises terroristes, mais aussi les régions et les territoires, dont la fédération devait en particulier construire l'Europe débonnaire du futur. Aujourd'hui, les Etats se trouvent plus que jamais au devant de la scène. Plus que jamais, notre avenir dépend d'eux. Simplement, leur caractère de droit divin, ou, ce qui est à peu près la même chose, leur sacralité historique, s'atténue au profit d'une logique de concurrence. Comme de vulgaires entreprises, ils sont jugés au résultat.
On a déjà vu dans la seconde moitié du XXème siècle comment les États d'Asie, Japon et Corée du Sud en tête, ont appuyé leur développement sur la protection féroce de leurs marchés intérieurs, tout ceci dans le non-dit d'ailleurs, puisqu'ils n'ont jamais mis en cause les règles d'ouverture à la concurrence prônées dans les vertueuses enceintes internationales. On voit encore aujourd'hui comment les pays les plus développés, États-Unis, Europe, Australie, protègent leurs agricultures, quitte à inonder le monde de surproductions entrant en concurrence avec les productions locales.
On a vu que les États qui ont le mieux résisté à l'éclatement de la bulle financière asiatique de la fin des années 1990 sont ceux qui ont pris soin d'ignorer les injonctions du FMI. A juste titre, puisque le FMI a reconnu, des années plus tard, qu'il avait prodigué en cette circonstance de mauvais conseils.
De même le catéchisme néo-libéral de la Banque mondiale, appuyé sur l'idéal de l'Etat minimum et la méthodologie des "ajustements structurels", a produit en Afrique des désastres économiques, par exemple avec le démantèlement de filières nationales de production cotonnière. Sur le plan social, on a vu aussi les conséquences négatives de l'affaiblissement des systèmes nationaux d'éducation sous l'effet du "dégraissage" des effectifs. Là encore, la Banque mondiale a fait acte de repentance, mais un peu tard...
Ceci ne veut pas dire que protectionnisme et socialisme sont la garantie du développement. Le protectionnisme, quand il sert les intérêts d'oligarchies mondialisées, comme on les trouve en Amérique latine ou en Afrique, crée des niches de confort qui n'apportent rien au pays, bien au contraire. Quant au socialisme, quand il n'est que l'habillage de régimes populistes et autoritaires, il plombe lui aussi les chances de développement.
Non, tout démontre que les "success stories" du développement partent de l'analyse lucide des atouts et des handicaps d'un pays, puis de la définition de stratégies ad hoc, sans se laisser influencer par les bons apôtres extérieurs. Cet atout peut être ici une population industrieuse, ailleurs l'abondance de telle ou telle matière première ou source d'énergie, ailleurs encore le soleil et les plages qui permettront d'attirer les touristes, ou même le bon emplacement sur la carte du déplacement des gens et des marchandises. C'est en somme l'exploitation raisonnée du différentiel d'un pays donné dans le jeu mondial de la concurrence ou simplement, comme l'aurait dit Adam Smith, de la division du travail. C'est enfin la distribution astucieuse des fruits de la croissance, en vue d'injecter juste assez de prospérité parmi le plus grand nombre, tout en facilitant les nouveaux investissements, gages des résultats futurs.
Il y a quelques années, le discours à la mode portait sur l'affaiblissement des Etats face à la montée sur la scène internationale d'acteurs non-étatiques, des maffias aux ONG, en passant par les entreprises terroristes, mais aussi les régions et les territoires, dont la fédération devait en particulier construire l'Europe débonnaire du futur. Aujourd'hui, les Etats se trouvent plus que jamais au devant de la scène. Plus que jamais, notre avenir dépend d'eux. Simplement, leur caractère de droit divin, ou, ce qui est à peu près la même chose, leur sacralité historique, s'atténue au profit d'une logique de concurrence. Comme de vulgaires entreprises, ils sont jugés au résultat.
samedi 8 mars 2008
Byzance, le capitalisme financier et les téléphones portables
A Byzance, la classe dirigeante appuyait son pouvoir et son prestige sur la possession de grandes propriétés foncières. Pour les acquérir, elle chassait de leurs terres et expulsait vers les villes les petits exploitants qui formaient l'élément le plus solide de son armée, la base de sa défense, et même la base de sa société. L'on s'en rendait compte déjà à l'époque, l'on se lamentait devant l'affaiblissement de l'Empire qui en découlait. Mais rien ne semblait pouvoir arrêter cette évolution, et de fait rien ne l'a arrêté.
La façon dont le nouveau capitalisme financier a détruit le tissu économique et social qui a fait la force de l'Europe, et notamment une classe ouvrière profondément attachée à ses entreprises, rappelle très fortement la façon dont les paysans de Byzance ont été arrachés à leurs terres. Là aussi, chacun constate le résultat produit, se lamente de la fragilisation de nos nations et de nos sociétés , mais sans que personne ait pu mettre fin au phénomène. Les forces à l'oeuvre paraissent dépasser infiniment la capacité d'action de quiconque.
Avant cette désagrégation de la classe ouvrière, il y avait déjà eu la désagrégation du monde paysan dans l'ouest de l'Europe depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. Car c'était cela aussi, les "Trente glorieuses".
Assez curieusement, le bloc soviétique avait protégé de ces évolutions, par une sorte de glaciation, les pays qu'il recouvrait. Dans les années 1990 encore, la campagne polonaise ou la campagne roumaine était à peu près aussi peuplée qu'au Moyen-Âge, et présentait des tableaux dignes des Riches Heures du Duc de Berry. Je me souviens d'avoir demandé en Hongrie à un couple de paysans qui m'avaient fait entrer avec ma femme dans leur maison combien d'hectares ils cultivaient. "Deux...". "Mais c'est très peu!" disais-je. "Pas du tout" répondaient-ils, "cela nous donne déjà beaucoup de travail". Et de fait, leur intérieur, la table à laquelle ils nous avaient invités, respiraient une toute petite mais honnête aisance. Un immense dégel a dû déjà commencé à emporter tout ceci.
Dans notre monde déstructuré, chacun se présente de plus en plus comme un entrepreneur individuel, employeur de sa force de travail, s'efforçant de survivre en gérant au mieux son employabilité. Et la principale force de cohésion de l'ensemble, c'est l'échange. Il suffit pour s'en rendre compte de regarder les réclames à la télé, où la marchandise qui vampirise ceux qui l'acquièrent paraît bien plus vivante que les acteurs-marionnettes qui s'y agitent pour pousser à la consommer.
L'échange devient donc le porteur du réel, et les personnes tendent à n'être plus que des terminaux ou des relais du monde de la communication. Dans ce monde nouveau, celui qui n'est plus irrigué en permanence par ce flux s'étiole et et disparaît, frappé par une sorte de mort civile. C'est ce qu'on verrait très vite si l'on pouvait faire tomber en panne d'un seul coup les téléviseurs, les ordinateurs branchés sur internet et tous les téléphones portables.
La façon dont le nouveau capitalisme financier a détruit le tissu économique et social qui a fait la force de l'Europe, et notamment une classe ouvrière profondément attachée à ses entreprises, rappelle très fortement la façon dont les paysans de Byzance ont été arrachés à leurs terres. Là aussi, chacun constate le résultat produit, se lamente de la fragilisation de nos nations et de nos sociétés , mais sans que personne ait pu mettre fin au phénomène. Les forces à l'oeuvre paraissent dépasser infiniment la capacité d'action de quiconque.
Avant cette désagrégation de la classe ouvrière, il y avait déjà eu la désagrégation du monde paysan dans l'ouest de l'Europe depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. Car c'était cela aussi, les "Trente glorieuses".
Assez curieusement, le bloc soviétique avait protégé de ces évolutions, par une sorte de glaciation, les pays qu'il recouvrait. Dans les années 1990 encore, la campagne polonaise ou la campagne roumaine était à peu près aussi peuplée qu'au Moyen-Âge, et présentait des tableaux dignes des Riches Heures du Duc de Berry. Je me souviens d'avoir demandé en Hongrie à un couple de paysans qui m'avaient fait entrer avec ma femme dans leur maison combien d'hectares ils cultivaient. "Deux...". "Mais c'est très peu!" disais-je. "Pas du tout" répondaient-ils, "cela nous donne déjà beaucoup de travail". Et de fait, leur intérieur, la table à laquelle ils nous avaient invités, respiraient une toute petite mais honnête aisance. Un immense dégel a dû déjà commencé à emporter tout ceci.
Dans notre monde déstructuré, chacun se présente de plus en plus comme un entrepreneur individuel, employeur de sa force de travail, s'efforçant de survivre en gérant au mieux son employabilité. Et la principale force de cohésion de l'ensemble, c'est l'échange. Il suffit pour s'en rendre compte de regarder les réclames à la télé, où la marchandise qui vampirise ceux qui l'acquièrent paraît bien plus vivante que les acteurs-marionnettes qui s'y agitent pour pousser à la consommer.
L'échange devient donc le porteur du réel, et les personnes tendent à n'être plus que des terminaux ou des relais du monde de la communication. Dans ce monde nouveau, celui qui n'est plus irrigué en permanence par ce flux s'étiole et et disparaît, frappé par une sorte de mort civile. C'est ce qu'on verrait très vite si l'on pouvait faire tomber en panne d'un seul coup les téléviseurs, les ordinateurs branchés sur internet et tous les téléphones portables.