IRAN : LA CIBLE
Les connaisseurs du microcosme washingtonien sont désormais convaincus que l'administration américaine ne résistera pas indéfiniment à la tentation de frapper l'Iran : pas l'envahir, bien sûr, mais détruire radicalement, non seulement son potentiel nucléaire, mais aussi son potentiel de défense, et surtout de riposte. L'on est déjà dans l'ordre de grandeur de la centaine de sites en tous genres à neutraliser. Ira-t-on jusqu'à frapper des sites proprement politiques? Rien n'est sans doute exclu à ce jour.
Pour les Néo-Conservateurs la frappe de l'Iran leur donnerait enfin, à l'expiration de leurs huit ans au pouvoir, le sentiment d'un devoir historique accompli. L'on voit bien, sinon, qu'ils partiraient avec un sentiment d'inachevé, et l'éternel regret de n'avoir pas osé aller jusqu'au bout de leurs idées. Et ils ont pour agir deux fenêtres de tir : soit début 2008, avant la montée en puissance de la campagne présidentielle, soit l'automne, après l'élection elle-même, où Bush interviendrait alors avec l'accord tacite ou explicite de son successeur.
Donc, avant d'agir l'on prendra le Monde à témoin (comme pour l'Irak...) que les Nations Unies ne sont pas à la hauteur de leurs responsabilités. Concrètement, qu'il est impossible d'obtenir du Conseil de Sécurité une résolution vraiment musclée, passant à un palier supérieur de sanctions : celles qui ne se contentent pas d'humilier, mais qui font vraiment mal. Ceci va prendre encore quelques mois de palabres.
La Russie, la Chine paraissent à cette heure imperméables à tout effort de conviction. Peut-être alors, en une sorte d'intermède, se tournera-t-on vers l'Europe pour en obtenir une bordée de sanctions, venant rejoindre les sanctions unilatérales américaines.
Mais mettra-t-on les vingt-sept Européens d'accord? Rien n'est moins sûr s'il s'agit de faire mal, et donc de se faire mal à soi-même... et même si l'on réussissait en tout, ce tout fera-il plier l'Iran? Voilà plus d'un quart de siècle que ce pays est sous un embargo américain qui paralyse, ou du moins ralentit gravement, le développement de pans entiers de son économie, à commencer par sa capacité d'exploitation de pétrole et de gaz. Mais la République islamique est toujours là à défier le Monde et l'Amérique.
Voilà pourquoi l'Iran a sans doute été au coeur de la conversation des présidents français et américain, lors du déjeuner estival de Kennebunkport, dans la résidence familiale des Bush.
Voilà pourquoi, quinze jours plus tard, devant un parterre d'ambassadeurs français, Nicolas Sarkozy, encore tout plein des propos entendus, a présenté sur un ton fortement anxiogène le premier "des trois défis du XXIème siècle" qu'était "la menace de la confrontation entre l'Islam et l'Occident", et a conclu sur l'évocation de cette "alternative catastrophique : la bombe iranienne ou le bombardement de l'Iran".
Voilà enfin pourquoi, pris à son tour dans une telle ambiance, Bernard Kouchner a laissé échapper l'idée qu'il fallait "se préparer au pire"... c'est-à-dire à "la guerre". Bien sûr, il s'est ensuite laborieusement défendu de tout entraînement sur une telle pente, se lançant même dans une construction hasardeuse selon laquelle il fallait encore plus de sanctions sur l'Iran pour lui épargner un conflit. Mais les mots, à ce niveau, s'envolent et prennent leur vie propre. Et ces mots-là, à travers le monde, ont pris toute la dimension d'une "self-fulfilling prophecy" : d'une prophétie auto-réalisatrice, comme le disent nos amis américains.
Good words.
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